Quinze milliards d’euros supplémentaires sur cinq ans pour les policiers et les gendarmes. En mettant sur la table pareil montant, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, ne s’est pas seulement attaché le soutien quasi indéfectible des syndicats de policiers, particulièrement sensibles au langage des chiffres. Il a aussi sécurisé le vote de sa loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), dont l’Assemblée nationale entame l’examen lundi 14 novembre.
Cette opération de neutralisation des oppositions par la force de l’argument budgétaire se double d’une subtilité tactique : le texte a été resserré autour de 16 articles, au lieu des 32 déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale au mois de mars, avant que l’examen de la loi ne soit reporté pour cause d’élection présidentielle. Dépouillé de l’essentiel des dispositions relatives à l’immigration, il offre ainsi moins de prise à la contestation, même si ses dispositions font l’objet de près de 1 200 amendements des députés, car elles engagent pour des années le fond de la question sécuritaire : généralisation des amendes forfaitaires délictuelles, qui permettent de sanctionner des délits sans procédure judiciaire, équipements « augmentés » de la police, création de 200 brigades de gendarmerie, de 11 unités supplémentaires de forces mobiles, accroissement des capacités d’enquête en matière numérique…
Mais alors que l’institution policière traverse une énième crise sur fond de fronde contre la réforme de la police judiciaire (PJ) et de hausse du nombre des suicides, alors que les enjeux à venir – Jeux olympiques et paralympiques de 2024, accroissement de la menace cyber – imposent de moderniser les moyens d’une administration régalienne par nature, qui prendrait le risque de voter contre une loi aussi richement dotée ?
Personne ou presque, comme l’a illustré son examen en première lecture devant le Sénat, avant une adoption, le 18 octobre, en forme de quasi-plébiscite : 307 voix pour, 27 contre. Même les sénateurs socialistes ont voté en faveur de la « loi Darmanin », sans chercher à dissimuler les ressorts de leur motivation : « La demande de sécurité exprimée par nos concitoyens (…) nous a convaincus de voter en faveur de ce texte et des moyens supplémentaires qu’il alloue à nos forces de l’ordre », avait alors déclaré le socialiste Jérôme Durain (Saône-et-Loire).
« Une véritable forêt d’imprécisions »
Une telle position n’a pas manqué d’étonner, pour ne pas dire davantage, leurs collègues de l’Assemblée nationale. « C’est une loi très peu proche des préoccupations concrètes de nos concitoyens », estime le député socialiste du Nord Roger Vicot, jugeant que ce texte « ne dit rien des relations entre la police et la population, du rôle des élus, avec une vague resucée de la police de proximité, une véritable forêt d’imprécisions ». Au Palais-Bourbon, les socialistes ne devraient pas pour autant voter contre la Lopmi. « Nous nous dirigeons plutôt vers une abstention », admet l’un d’eux, en précisant que cette position ferait l’objet d’une explication « très argumentée ».
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