C’est là que tout a commencé. Là, à Sao Tomé, dans cette « île du milieu du monde » positionnée sur l’équateur, au large du Gabon, que les colons portugais, arrivés en 1471, ont ouvert le laboratoire de l’esclavage qui allait conduire à la déportation de millions d’Africains vers les Amériques. Là, sur cette île qui fait aujourd’hui partie de l’Etat de Sao Tomé-et-Principe, (200 000 habitants), qu’a été expérimentée pour la première fois l’économie de plantation fondée sur l’organisation raciale du travail.
Dès cette époque, des troupes débarquent de Lisbonne et de Madère, à l’invitation des maîtres sucriers, pour jouer des pièces que les esclaves et les premiers créoles ne tarderont pas à s’approprier. Ce sont ces rites, redécouverts à la faveur du mouvement de décolonisation et de l’obtention de l’indépendance par Sao Tomé, en 1975, que le photographe italien Nicola Lo Calzo a explorés ces trois dernières années, dans le cadre d’une recherche collective au long cours qu’il mène depuis bientôt une décennie autour des mémoires de la traite négrière et de l’esclavage. « Je cherche à comprendre comment ces mémoires arrivent à être transmises de génération en génération, à travers d’anciens rituels qui prennent un sens identitaire et politique contemporain », dit-il.
Le photographe Nicola Lo Calzo s’est focalisé sur deux pratiques théâtrales vécues sur place comme « une réponse créatrice des dominés à la violence incarnée par le pouvoir colonial ».
Son projet connaîtra encore de nombreuses étapes en Afrique, aux Caraïbes et en Amérique, et il a déjà donné lieu à plusieurs expositions, notamment à Marrakech, Lagos, Lille, Lyon, Florence ou Amsterdam. Il fera aussi bientôt l’objet, s’agissant de Sao Tomé, d’un livre publié en trois langues (portugais, français et anglais) par l’éditeur L’Artiere, intitulé Tragédia.
Agé de 43 ans, Nicola Lo Calzo, qui est aussi artiste et enseignant-chercheur à l’Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, s’est focalisé sur deux pratiques théâtrales vécues sur place comme « une réponse créatrice des dominés à la violence incarnée par le pouvoir colonial », pratiques qu’il a réunies sous le vocable de « tragédia », un terme employé par les habitants de Sao Tomé eux-mêmes.
Commémorer les ancêtres
La première pratique, le tchiloli, se caractérise par un répertoire unique, issu de La Tragédie du marquis de Mantoue et de l’empereur Charlemagne. Une pièce qui aurait été écrite au milieu du XVIe siècle par le dramaturge portugais Baltasar Dias, à partir des légendes du cycle carolingien auquel appartient la célèbre Chanson de Roland. Danser « des pavanes et des menuets raffinés en pleine jungle » ne serait-il pas « un prétexte pour résister à l’enfer de l’oppression », s’interrogeait en 2006 l’ethnologue Françoise Gründ dans un livre consacré au sujet.
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