Depuis plusieurs mois, de nombreuses banques centrales, dont l’Eurosystème, ont enregistré des pertes importantes qui pourraient encore s’aggraver si la hausse des taux se poursuit. Mais est-ce vraiment une situation alarmante ? Les banques centrales ne sont pas des entreprises ni des banques commerciales, elles n’ont donc pas besoin de réaliser des bénéfices. Cependant, il est important de se demander qui profite de ces pertes : la société dans son ensemble ou seulement le secteur bancaire ?
Ces pertes sont dues aux masses de liquidités que les banques centrales ont dû créer pour surmonter les crises financière de 2007-2008 puis sanitaire de 2020, en les prêtant aux banques à des taux très bas, voire négatifs, ou en achetant des titres dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif. Les banques commerciales ont accumulé ces liquidités sous forme de réserves à la banque centrale. Actuellement, celles de la zone euro disposent encore de 4 173 milliards d’euros de réserves sur leurs comptes courants à la Banque centrale européenne (BCE), composées pour une petite part de réserves obligatoires (155 milliards) et, pour le reste, de « facilités de dépôt », que la banque centrale rémunère.
En réponse à l’inflation, la BCE, comme les autres banques centrales, a relevé ses taux directeurs, qui sont précisément ceux auxquels elle prête aux banques et rémunère leurs dépôts mis en réserve. Ainsi, les liquidités que les banques ont empruntées à la BCE à un taux nul voire négatif jusqu’à mi-2022 leur rapportent désormais 3 % pour les facilités de dépôt et 3,5 % pour les réserves obligatoires. Soit environ 125 milliards d’intérêts par an payés par la BCE.
Cependant, les banques de la zone euro ont moins besoin de liquidités, les taux ayant augmenté et elles ayant remboursé une partie de leurs anciens emprunts. Elles ont donc réduit de près de la moitié l’encours de leurs emprunts à la BCE par rapport à 2021. Cela signifie que la BCE verse désormais beaucoup plus d’intérêts aux banques qu’elle n’en reçoit. Cela explique les pertes importantes pouvant atteindre jusqu’à 600 milliards d’euros pour l’Eurosystème, selon Daniel Gros, membre du directoire du Centre for European Policy Studies, cité par le Financial Times.
Cela soulève une question importante : est-il juste qu’une banque centrale doive payer pour un service (de liquidité) qu’elle fournit aux banques ? C’est une pratique qui a été instaurée par la Bundesbank allemande avant l’entrée en fonction de la BCE en 1999. Avant cela, la plupart des banques centrales nationales ne le faisaient pas. La Réserve fédérale américaine ne l’a commencé qu’en 2008. Cette situation peut être vue comme une subvention indue aux banques commerciales, au détriment des États, qui devraient normalement percevoir les revenus issus de la création monétaire par la banque centrale (le « seigneuriage »), étant donné que la plupart des banques centrales nationales de la zone euro ont l’État comme actionnaire.
En conclusion, bien que les pertes des banques centrales ne soient pas à dramatiser, il est important de se demander à qui elles profitent. La question des intérêts payés par les banques centrales aux banques commerciales pose la question de l’équité et de la transparence dans notre système économique et financier.