Vingt-cinq ans après sa mort, Fela Anikulapo-Kuti (1938-1997) reste l’un des personnages les plus iconiques de la scène musicale africaine. Le créateur génial de l’afrobeat au début des années 1970 – avec la complicité rythmique de Tony Allen (1940-2020), son batteur et directeur musical pendant dix ans. Unique et puissant, un son dans lequel s’infusent mutuellement rythmes yoruba, highlife ghanéen, funk et jazz, l’afrobeat est la musique d’un homme en colère. Un activiste social et politique dont chaque chanson claquait comme un coup de gueule contre les dirigeants de son pays, la corruption, les multinationales…
Son parcours, sa vie, sa vision musicale et politique ont été déjà largement documentés, à travers des biographies, des films documentaires. Il manquait une exposition d’envergure en Europe, après celle montrée au New Museum à New York, en 2003, « Black President: the Art and Legacy of Fela Anikulapo-Kuti ». La Philharmonie de Paris s’empare du sujet avec « Fela Anikulapo-Kuti. Rébellion afrobeat », une exposition conçue par un commissariat à trois têtes (Alexandre Girard-Muscagorry, Mathilde Thibault-Starzyk et Mabinuori Kayode Idowu, alias ID), présentée jusqu’au 11 juin 2023. Une immersion en sons, images (magnifiques photographies de Jean-Jacques Mandel, Thierry Secretan, Michel Maïofiss…) et extraits de films, articulée autour de la dimension musicale et politique de Fela.
Sur une scénographie signée Georgiana Savuta-Idier (avec l’intervention du duo de graphistes Maison Solide), elle propose un parcours musical immersif dans un environnement bouillonnant jalonné de formules parfois aux allures de slogans du « Black President » peintes en lettres blanches immenses : « Music Is The Weapon of the Future » (« la musique est l’arme du futur »), « My Music Is not for Enternainment My Music Is to Spend a Message » (« ma musique n’est pas pour le divertissement, ma musique est pour passer un message »). Elle raconte son éveil politique, avec la création, en 1976, d’un mouvement baptisé Young African Pioneers (YAP), puis deux années plus tard de son propre parti, le Movement of the People (dont l’acronyme MOP signifie « serpillière » en anglais).
Vingt-sept épouses
Un éveil fécondé par deux femmes. D’abord, sa mère, Funmilayo, dirigeante de l’Union des femmes d’Abeokuta, à laquelle l’exposition consacre un panneau. Elle mourra en 1978 des suites de ses blessures, après avoir été défenestrée un an auparavant lors de l’attaque, par des centaines de soldats, de la maison de Fela à Lagos, une enclave régie par ses propres lois qu’il avait baptisée la « République de Kalakuta » en 1975, deux ans après l’ouverture de son club, l’Africa Shrine, dans lequel il donnait des concerts fiévreux jusqu’au bout de la nuit, ponctués de déclarations offensives.
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