Le spectacle est annoncé. On commence à agiter la muleta de la retraite, et déjà les toros de tous bords se préparent à foncer tête baissée sur le linge écarlate pour y laisser leur empreinte, l’étirer, le dépecer ou le rapetisser, selon ce qu’ils nomment un impératif social ou le sens des réalités, lesquels s’accompagnent de la formule définitive : « Il faut savoir raison garder », leitmotiv des pauvres en esprit à l’imaginaire carencé.
On présentera ce débat sur la retraite comme la manifestation éclatante du fonctionnement démocratique, on s’étripera, on se félicitera du résultat ou on criera au scandale, et tout ce brouhaha politico-médiatique – et c’est peut-être sa finalité inconsciente – reviendra à accréditer cette idée que le corps central de toute existence est le travail, borné, d’un côté, par des années de formation (qui préparent à rentrer dans le grand corps, pas question d’y apprendre le chant des oiseaux) et, de l’autre, si tout se passe bien, par une offre permettant à ce grand corps malade d’avoir de quoi souffler, éventuellement sous assistance respiratoire. De sorte que c’est l’existence en son entier qui s’organise autour du sacro-saint labeur. Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, de ta vie ? J’ai travaillé.
Ce repos terminal, on voit bien de quoi il s’inspire, de ce septième jour que s’accorde le Créateur après six jours à retourner terre et ciel. Les révolutionnaires, dans leur acharnement voltairien à en finir avec « l’infâme » (l’Eglise catholique), supprimèrent la semaine de sept jours (l’héritage biblique) pour la remplacer par le décadi. Au lieu de 52 dimanches chômés, il n’en restait plus que 36. Du côté du patronat, on commence à se frotter les mains. D’autant que l’Ancien Régime ajoutait aux 52 dimanches 25 fêtes religieuses, également chômées. Voltaire, bien sûr, mais aussi Montesquieu, s’en étaient alarmés, qui dénoncèrent les « effets pervers » pour l’économie de ce pieux repos accordé aux travailleurs. Un bon Dieu est un Dieu mort.
Grande débandade
Le poète Racan [1589-1670] avait 29 ans quand il a publié ses Stances sur la retraite (« Tircis, il faut penser à faire la retraite »), et Montaigne 38 quand il s’est retiré dans sa tour pour écrire, étudier, mettre en pratique le carpe diem horacien. Mais ça, cette injonction, « cueillir le jour sans se soucier du lendemain », hormis pour les oiseaux du ciel et les nantis, c’est précisément ce qui constitue la pierre d’inquiétude de la majeure partie de l’humanité. On empilait autrefois les naissances pour qu’il se trouve un enfant survivant acceptant de prendre en charge ses vieux parents.
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