Julia Velkovska, chercheuse en sociologie au programme de développement et d’innovation Orange Labs et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, s’interroge sur la transformation des relations de service grâce à la digitalisation. Les entreprises et les administrations ont tendance aujourd’hui à privilégier les interactions automatisées avec les clients via des chatbots pour réduire leurs coûts. Cependant, cela peut poser des problèmes d’accessibilité et de compétences pour les utilisateurs qui doivent être capables de naviguer dans les sites web et les formulaires en ligne. Cette double compétence numérique et administrative est très inégalement répartie dans la population.
Selon Julia Velkovska, il ne faut pas remettre en question les technologies elles-mêmes, mais plutôt la façon dont elles sont utilisées. Les organisations sont souvent dans une logique de rationalisation à outrance et focalisent leur parcours client sur des demandes types. Cette automatisation a tout son sens pour les tâches simples et standard, mais elle atteint vite ses limites dès lors que les demandes sortent du cadre prédéfini. Dans ces situations, les clients peuvent rapidement se retrouver face à une impasse.
Un certain nombre d’usagers se retrouvent alors contraints de renoncer à leurs droits ou de râler pour que leur problème soit résolu. Ces comportements sont souvent considérés comme des « incivilités », mais ils ne sont en fait que la conséquence des politiques de rationalisation managériale de la relation client.
Selon Velkovska, plutôt que de voir le numérique comme un rival de l’humain, il faut plutôt l’envisager en complémentarité. En 2006, une agence régionale de l’Agence nationale pour l’emploi a tenté de substituer tous les entretiens en face à face par de la vidéocommunication. Il s’est avéré que cela fonctionnait très bien pour les entretiens de suivi mais pas du tout pour les rendez-vous d’inscription, où les demandeurs d’emploi devaient fournir un tas de justificatifs.
En somme, pour Julia Velkovska, la transformation des relations de service grâce au numérique peut être positive si elle est bien gérée par les organisations. Les technologies ne doivent pas remplacer l’humain, mais être utilisées de manière complémentaire. Il est essentiel de maintenir une certaine flexibilité pour les demandes qui sortent du cadre habituel et de ne pas abandonner les personnes les moins à l’aise avec la technologie ou administrativement.