Les photos montrent un garçonnet âgé d’environ huit ans, qui a l’air sérieux avec ses petites mains qui dépassent à peine d’un ample manteau. Le jeune garçon est pourtant au centre d’une partie d’échecs géopolitique tendue entre de puissants gouvernements d’Asie de l’Est, et dont pourrait bien dépendre la survie de l’une des grandes religions du monde. Son titre officiel est celui de 10ème Khalkha Jetsun Dhampa Rinpoché, le troisième grand lama par ordre d’importance du bouddhisme tibétain, et le chef de cette religion en Mongolie.
Up jusqu’au mois de mars 2023, son existence n’était encore qu’une simple rumeur, et son visage restait inconnu. Mais voilà qu’il est apparu, sans crier gare, au côté du dalaï-lama, le chef suprême du bouddhisme tibétain, qui vit en exil en Inde. La présence de l’enfant est mentionnée, de manière très anodine, dans le compte rendu d’une cérémonie présidée par le dalaï-lama dans son fief de Dharamsala (dans le nord de l’Inde).
Si la nouvelle est passée inaperçue en dehors des milieux bouddhistes et diplomatiques, en Mongolie, en revanche, elle a été accueillie avec un grand enthousiasme chez les bouddhistes, avec mépris chez les nationalistes laïques et avec inquiétude chez ceux qui craignent qu’elle ne provoque le courroux de leur puissant voisin chinois. “J’ai été sur un petit nuage et remplie de joie durant les trois jours qui ont suivi”, explique Tsetsegmaa Demberel, une adepte du bouddhisme, qui faisait partie des 600 Mongols à s’être rendus à la cérémonie à Dharamsala le 8 mars. “Je suis très fière que nous ayons un chef spirituel mondial qui soit mongol.”
Ce qui rend le sujet si sensible, c’est la haine farouche du gouvernement chinois contre le dalaï-lama, aujourd’hui âgé de 87 ans, qui a reçu le prix Nobel en 1989 pour son engagement pacifique en faveur de son pays natal, le Tibet. En 1959, alors qu’il était encore jeune, il s’en est enfui après l’insurrection tibétaine, pour se réfugier en Inde, où il a mené la lutte pacifique de son peuple contre l’oppression chinoise. Depuis lors, il a été excommunié par les autorités chinoises qui soutiennent le développement du bouddhisme tibétain dans le pays, tout en visant à éliminer tout élément de nationalisme tibétain.
Le gouvernement chinois a déjà menacé le dalaï-lama à maintes reprises pour sa tentative de promouvoir la surveillance des autorités intellectuelles étrangères et des manipulations religieuses. Maintenant, avec l’émergence d’un nouveau chef religieux, la situation pourrait provoquer des réactions violentes de la part des autorités chinoises. Cependant, le 10ème Khalkha Jetsun Dhampa Rinpoché n’a pas joué de rôle dans le conflit entre la Chine et le Tibet, donc il est encore incertain de savoir si la Chine considérera ce dernier comme une menace.
La situation devient de plus en plus tendue, car de nombreux bouddhistes mongols considèrent que leur religion et leur culture sont en train d’être éradiquées par la Chine. Ces derniers défendent farouchement leur culture et espèrent que le nouveau chef religieux sera un symbole de la renaissance bouddhiste en Mongolie.