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Le vrai coût écologique du streaming vidéo

Le vrai coût écologique du streaming vidéo


Transport, alimentation, habillement sont des industries bien plus émettrices de gaz à effet de serre (GES) que le numérique qui, dans un souci d’effort global, est pointé du doigt pour ses méfaits sur l’environnement. Il consomme de plus en plus d’énergie et s’appuie sur l’extraction massive, destructrice et polluante de minerais, sans avoir encore trouvé sa voie vers plus de sobriété.

Le numérique et ses appareils sont toujours plus présents dans le quotidien des habitants de la planète, qui sont des milliards à regarder des vidéos en ligne, par exemple. Mais quel est précisément l’impact écologique du streaming vidéo ? Doit-on se sentir coupable de passer 2 h devant Netflix chaque soir, sachant que l’écosystème numérique représente 2 à 4 % des émissions d’équivalent CO2 (CO2e) ?

Numérique contre physique

Du côté de l’Agence de transition écologique (Ademe), une étude publiée le 17 novembre 2022 s’intéresse aux impacts environnementaux de la numérisation des services culturels et évoque le streaming en l’opposant à l’usage de supports physiques (DVD, Blu-ray…). Pas de chance pour nous, ses conclusions sont assez vagues.

“Cette étude ne permet pas de conclure que les services culturels numériques sont meilleurs que leur alternative physique. L’impact environnemental d’un service culturel, qu’il soit numérique ou physique, dépend en partie de l’intensité d’usage qui en sera fait, indique l’Ademe. La numérisation des services culturels complexifie et multiplie les équipements nécessaires. Ces équipements, qui nécessitent une large variété de matières premières et de métaux, génèrent des impacts non négligeables sur tous les indicateurs […] L’impact des équipements (TV, box, etc.) représente entre 60 et 80 % des impacts environnementaux du service.”

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Une fois encore, en tentant d’évaluer l’impact écologique d’un service numérique, on se rend compte que le plus polluant est la phase de fabrication du matériel ad hoc. Dès lors, la principale recommandation de l’Ademe reste la même : faire durer autant que possible le matériel et limiter le nombre d’équipements. Dans le cas précis du streaming vidéo, l’agence ajoute : “Télécharger les contenus en amont durant les heures creuses, désactiver l’autoplay, adapter la résolution de la vidéo visionnée à l’équipement, privilégier l’usage du wifi aux réseaux mobiles dont les infrastructures consomment plus d’électricité.” Des écogestes de bon sens en matière de sobriété.

Les abonnés Netflix aiment l’écologie

En continuant notre enquête, nous nous rendons compte que hormis quelques articles et études spécifiquement dédiés à YouTube, Netflix concentre toute l’attention des chercheurs. Avec plus de 220 millions d’abonnés payants dans le monde et un usage tellement démocratisé qu’elle est entrée dans le langage courant (netflix & chill), la plateforme éclipse jusqu’à ses principaux concurrents (Disney+, Prime Video…). Bref, le cas d’école à étudier.

Qui plus est, les abonnés Netflix ont un fort intérêt pour la cause écologique. Pour preuve, 160 millions d’entre eux ont visionné au moins une création Netflix évoquant le climat en 2020. La série documentaire Notre Planète est l’une des plus populaires, tandis que la satire Don’t Look Up, un énorme succès, fait écho aux alertes des scientifiques et à la cupidité inarrêtable du système capitaliste.

Le casting impeccable de Don't Look Up, qui a cumulé 152 millions d'heures de visionnage en seulement une semaine.

Le casting impeccable de Don’t Look Up, qui a cumulé 152 millions d’heures de visionnage en seulement une semaine.

© Netflix

Côté YouTube, une étude estimait dès 2006 la production de GES de la plateforme vidéo juste au-dessus de celle d’une ville comme Glasgow (1,6 million d’habitants), soit 11 millions de tonnes de CO2e pour 1,4 milliard d’utilisateurs. Ils sont aujourd’hui plus de 2,4 milliards, et en 16 ans les infrastructures de YouTube se sont énormément développées.

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Production des contenus et marketing, grands oubliés des études

Mais c’est bien du côté de Netflix que les études sont les plus nombreuses. L’une des plus reprises a été réalisée à la demande de la société elle-même. Fin 2021, des scientifiques et écologistes s’étaient d’ailleurs empressés de reprendre ses données pour transposer les statistiques de visionnage des 10 programmes les plus populaires de la plateforme sur un mois en kilomètres parcourus en voiture thermique. Résultat ? 1,8 milliard, soit plus qu’un trajet entre la Terre et Saturne.

The Carbon Trust, le cabinet indépendant mandaté par Netflix pour l’étude, utilise lui-même ce parallèle, estimant que regarder un épisode de sa série préférée équivaut à parcourir 300 m en voiture. Itou, une heure de visionnage représente l’émission de 55 g de CO2e en moyenne en Europe. Attention, comme l’indiquait alors Carnstone, un cabinet exploitant un supercalculateur d’impact carbone, seules les émissions des datacenters, des réseaux et appareils utilisés pour le visionnage sont pris en compte, pas la production des contenus.

Or, sur des tournages au budget important, le coût carbone des films et série est loin d’être anecdotique, surtout les postes des transports et du logement des équipes. En 2020, Netflix estimait que sur les 1,1 milliard de tonnes d’émissions de CO2e calculées, 50 % étaient imputables aux tournages, 45 % aux bureaux et au marketing, et seulement 5 % à l’infrastructure de stockage et de diffusion (englobant le recours aux serveurs Amazon et le déploiement du réseau de distribution mondial, notamment les FAI).

Pour alimenter sa plateforme de streaming, Disney dépense des milliards de dollars en création de contenus, surexploitant notamment la licence Star Wars.

Pour alimenter sa plateforme de streaming, Disney dépense des milliards de dollars en création de contenus, surexploitant notamment la licence Star Wars.

© Disney+

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Il s’agit là d’une évaluation hors réseaux et terminaux, mais on constate que la quasi-totalité des études sur le streaming se concentrent sur des aspects techniques qui oublient tout un pan très polluant de cette industrie : la création et la promotion des contenus. Comme le rappelle Carnstone, il faut aussi garder en tête que les investissements des plateformes sont toujours plus lourds pour créer davantage de contenus pour attirer et retenir les abonnés. De ce fait, le nombre de productions annuelles n’a jamais été aussi élevé et progresse, ajoutant au problème global.

L’IEA en juge de paix

L’étude de référence sur le coût écologique du streaming vidéo est finalement celle de l’IEA (Agence internationale de l’énergie), publiée d’abord dans la revue Carbon Brief avant d’être remise à jour et entièrement disponible sur le site de l’organisme. L’étude prend en compte trois aspects du streaming vidéo : les datacenters, les réseaux et les appareils de visionnage. En lien avec des statistiques récentes et localisées du coût environnemental de l’énergie, elle s’évertue à estimer les émissions de CO2e associées au streaming. Et si les estimations de l’IEA étaient au départ de 82 g de CO2e pour 1 h de streaming en moyenne, ses calculs mis à jour donnent aujourd’hui une moyenne de 36 g.

“L’impact relativement bas du streaming vidéo aujourd’hui est à mettre au crédit de l’amélioration rapide de l’efficacité énergétique des datacenters, réseaux et appareils. Mais le ralentissement de ces améliorations, les effets rebonds et le recours à toujours plus de technologies (IA et blockchain, par exemple) augmentent les inquiétudes sur l’impact environnemental du secteur pour les décennies à venir”, peut-on lire dans ce rapport.

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La réalité est bien différente selon que l’on visionne ses séries en France ou en Australie, sur un TV Led de 50 pouces en wifi ou un smartphone en 4G.

L’organisme pointe du doigt les nombreuses erreurs faites par le passé dans les principales études sur le sujet, parfois par des organismes de renom, tel que le Shift Project. Le think-tank avait estimé en 2019 qu’une heure de vidéo en streaming était équivalente à 3,2 kg d’émissions de CO2e. Au niveau mondial, cette pratique correspondait aux émissions totales d’un pays comme la France (environ 300 millions de tonnes de CO2). Sauf qu’une erreur de conversion entre bit et byte avait surestimé ces émissions par un facteur de 8, et qu’une fois la méthodologie affinée et les calculs corrigés, l’heure de visionnage était ramenée à “seulement” 400 g de CO2e par heure de visionnage. Un chiffre qui, au final, rejoignait les 420 g de CO2e calculés dès 2014 aux États-Unis.

Consommation d’énergie et bande passante au cœur des calculs

Ce n’est pas tout. D’un point de vue technologique, on estime que l’efficacité énergétique des datacenters et des réseaux double tous les deux ans. Certes, le renouvellement des infrastructures n’est pas aussi rapide, mais oblige à la prudence compte tenu des marges d’erreur dans les calculs.

D’ailleurs, la consommation d’énergie nécessaire à “faire tourner la machine Netflix” a souvent été surévaluée. Le Shift Project a un temps basé ses évaluations sur une consommation électrique de 6,1 kWh par heure, avant de revoir sa copie à 0,8 kWh. Selon l’IEA, le chiffre le plus juste serait de 0,077 kWh, soit 10 fois moins.

Nous allons le voir, la réalité est bien différente selon que l’on regarde ses séries en France ou en Australie, sur un TV Led de 50 pouces en wifi ou un smartphone 4G. En effet, en creusant dans les disparités des différentes études, on s’aperçoit que le Shift Project a estimé qu’avec 170 millions d’abonnés dans le monde, sur la base d’une consommation de 2 h de Netflix par jour, la plateforme représente une consommation d’électricité de l’ordre de 94 TWh. C’est 200 fois plus que ce qu’avance Netflix dans ses propres enquêtes, parlant de 0,45 TWh (2019).

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De l’avis des spécialistes de l’IEA, ce chiffre est beaucoup trop élevé, la grosse différence venant méthodologiquement de la consommation énergétique de la transmission des données (les réseaux), estimée à 0,91 kWh/h par le think-tank, et à seulement 0,02 kWh/h par l’IEA. L’IEA attribue en revanche quatre fois plus de consommation aux appareils de lecture/décodage que le Shift Project (0,055 kWh/heure contre 0,013). Là encore, la méthodologie diffère, le think-tank évoquant une consommation vidéo exclusivement sur smartphones et PC portables, alors que selon les statistiques de Netflix, 70 % des contenus sont consommés sur un téléviseur, appareil bien plus consommateur d’énergie.

En complément, il semble que le Shift Project ait été jusqu’à multiplier par six la bande passante moyenne consommée par Netflix, selon les différentes définitions. Là encore, le Shift Project, alerté, avait revu l’ensemble de ses calculs pour arriver à une conclusion bien différente : le think-tank a fini par revoir de 10,8 à 1,4 Go par heure la quantité de données transférées par le streaming vidéo, bien plus proche des calculs de l’IEA (1,9 Go par heure en moyenne).

Le mix énergétique change beaucoup de choses

Évidemment, d’un point de vue énergétique, l’impact du streaming vidéo est variable en fonction du mix énergétique alimentant les infrastructures. Si bien qu’une demi-heure de Netflix en Australie équivaudrait à 0,027 kg de CO2e d’émissions, contre 0,009 kg au Royaume-Uni et 0,002 kg en France, pays qui bénéficie en temps normal d’une énergie largement décarbonée grâce au nucléaire. Au niveau mondial, l’IEA estime désormais qu’une demi-heure de Netflix correspond à 0,018 kg de CO2e émis (soit 100 m parcourus en voiture thermique), quand le Shift Project est à 0,197 kg. 10 fois plus.

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En définitive, selon l’IEA, regarder un film de 2 h en streaming sur un téléviseur Led de 50 pouces, en Ultra HD via le wifi, correspond en France à 15 g d’émissions de CO2e, décomposées comme suit : 1,36 g pour le datacenter, 1,84 g pour le réseau et 11,76 g pour le téléviseur et le wifi. En Australie où l’énergie vient essentiellement du charbon et du gaz, le curseur est poussé à 218 g. Rappelons que le coût environnemental de la fabrication du téléviseur n’est ici pas pris en compte, alors qu’il représente environ trois quarts des émissions du cycle de vie entier de l’appareil. Ajoutons également, comme vu plus haut, que le coût environnemental des tournages, de la chaîne de production, du marketing et des bureaux n’est pas intégré. Or il serait largement majoritaire dans l’équation.

1 an de streaming en France = 2 t-shirts en coton

Les dernières communications de l’Ademe rappellent que “la majorité de votre empreinte numérique provient de la construction des appareils et pas de leur usage”. Selon l’Agence de transition écologique, un an de streaming en France, ce sont environ 12 kg de CO2e, soit deux t-shirts en coton ou la moitié de la fabrication d’un seul jeans.

Cela permet de relativiser les choses, même si les calculs sont certainement sous-évalués et que tous les efforts restent nécessaires. D’autant plus qu’il existe, avec le streaming vidéo comme dans de nombreux domaines, des effets rebonds assez forts. “Bien que l’empreinte carbone du streaming vidéo reste relativement modeste, il peut sembler raisonnable de s’attendre à ce que son impact global augmente, étant donné l’augmentation exponentielle de son utilisation”, conclut l’IEA qui établit un parallèle avec le cinéma : “En lui-même, le streaming est faiblement émetteur si on le compare au cinéma où la plupart des gens se rendent en voiture, par exemple.”

Les études évoquent actuellement une hausse du trafic global des plateformes de streaming qui peut atteindre 55 % par an, portée par des services ayant de plus en plus d’abonnés. De même, ces derniers font désormais l’effort d’aller chercher les plus pauvres via des offres avec publicité, y compris dans des pays en voie de développement.

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