Si, au début du mois de juin dernier, Emmanuel Macron déclarait qu’il n’y avait « aucun risque de coupure d’électricité l’hiver prochain », ce scénario optimiste défendu par le président de la République s’éloigne. En effet, son gouvernement est mobilisé depuis plusieurs jours pour préparer le pays à un hiver qui s’annonce parsemé de coupures, au gré des températures rigoureuses et des surcharges réseau électrique, qui peinera à faire face aux hausses de consommation.
Dans ce contexte, la sobriété énergétique et les fameux écogestes prennent un sens beaucoup plus concret. Pour piloter cette politique, un outil est au cœur de toutes les discussions : EcoWatt, la météo de l’électricité.
C’est ce dispositif créé par RTE (Réseau de transport d’électricité) qui doit alerter la population des tensions rencontrées sur le réseau, les appelant à adopter une consommation plus raisonnée selon un concept de feu tricolore : vert, la situation est normale ; orange, des écogestes sont à prendre ; rouge, les coupures sont inévitables sans une baisse significative des consommations.
Récemment remise au goût du jour, la plateforme a eu droit à une application flambant neuve fin octobre, lancée avec une campagne de communication sensibilisant les Français à cet enjeu et les invitant à télécharger l’application pour activer les alertes localisées. Car sans alerte, c’est tout le dispositif qui perd son utilité. Or, on apprend que l’intérêt porté par la population à EcoWatt est tout relatif.
Seulement 300 000 téléchargements
En effet, Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE, expliquait jeudi 1er décembre sur FranceInfo que l’application avait été téléchargée environ 300 000 fois alors qu’EcoWatt comptabilise environ 470 000 abonnés aux alertes SMS. Le dirigeant a reconnu que ce n’était « pas suffisant » et qu’il fallait continuer « à en faire la publicité ». Des chiffres décevants, et surtout trop faibles pour permettre au dispositif d’avoir un impact réel.
Si la panique n’est toutefois pas de mise chez Xavier Piechaczyk, c’est aussi parce que le dispositif sera complété par une information quotidienne des Français par d’autres canaux, comme les bulletins météo des chaînes de télévision ou encore des pages dédiées sur les grands sites internet d’actualité du pays. Le gouvernement tiendra, lui aussi, des points réguliers pour dresser un bilan de la situation.
Comme l’a précisé Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, les éventuelles coupures seront annoncées la veille entre 15h et 17h. Les Français pourront alors, via EcoWatt, entrer leur adresse et vérifier si leur habitation fait partie d’un quartier qui sera victime de « délestage », selon le terme consacré. Des coupures de courant qui n’excèderont pas 2 heures et ne pourront pas se produire deux fois de suite au même endroit.
10 GW d’écogestes espérés en pic
« Si à 19h, tout le monde n’allume pas sa plaque de cuisson en même temps, ne se sèche pas les cheveux en même temps, si on décale un peu […] les risques de coupures seront amoindris », précise le porte-parole, qui mise sur la solidarité nationale et insiste : « On se prépare, mais on n’est pas en train d’annoncer aux Français qu’il y aura forcément des coupures ». Dans ses prévisions, RTE espère qu’un signal EcoWatt rouge généralisé pourra entraîner une réduction de la consommation d’électricité de l’ordre de 10 GW en pointe, ce qui est conséquent. En comparaison, le délestage des industriels très consommateurs d’énergie — rémunérés pour ces coupures — permettrait de gagner 1,2 GW (et coûterait quelques dizaines de millions d’euros).
Le manque d’intérêt des Français pour EcoWatt n’est pas sans rappeler l’échec initial de l’application StopCovid, sur les cendres de laquelle a par la suite été conçu TousAntiCovid. Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, le gouvernement avait fini par réajuster le tir en donnant un réel intérêt à son application. Et c’est parce qu’elle permettait de conserver ses autorisations de sortie puis ses certificats pour le passe sanitaire qu’elle avait fini par trouver sa place sur les smartphones de millions de citoyens. On peut donc imaginer que si demain les coupures de courant devaient se multiplier en pratique, EcoWatt connaîtrait un nouvel essor.
Une électricité beaucoup plus polluante actuellement
Cette situation tendue s’explique par une conjonction de facteurs défavorables, qui vont de la faible disponibilité temporaire du parc nucléaire français (la plupart du temps pour cause de maintenance) aux dérèglements du marché de l’énergie causés par la guerre en Ukraine et la réduction des approvisionnements en gaz russe. Et c’est évidemment une très mauvaise nouvelle pour l’environnement, car ce que ne produisent pas les modes de production électriques faiblement carbonés doit être compensé par des méthodes de production délétères pour l’environnement.
En effet, l’énergie produite et consommée en France depuis quelques jours est beaucoup plus polluante, avec des centrales à gaz qui tournent à plein régime (alimentées en gaz naturel liquéfié, souvent acheté à la Russie et transporté non par pipeline, mais par bateau) et la centrale à charbon de Saint-Avold relancée en Moselle (un mode de production qui génère, en sus, une forte pollution atmosphérique). Nous importons également de l’électricité produite chez nos voisins, souvent à base d’énergies fossiles.
Ce qui permet de rappeler que les économies d’énergies, quelles qu’elles soient, sont toujours bonnes à prendre d’un point de vue écologique. À ce titre, la sobriété va — à n’en pas douter — s’installer comme un impératif de long terme, y compris en France, où l’électricité est l’une des plus décarbonées au monde, lorsque le parc nucléaire et totalement exploitable. Cela dit, s’appuyer essentiellement sur la solidarité citoyenne ne sera jamais suffisant et des mesures gouvernementales ambitieuses ciblant l’intégralité des leviers sont attendues, tant les incohérences (et gaspis inutiles) persistent à ce jour.