Cela n’a pas été un retour « sobre » et « sans triomphalisme », comme il l’avait annoncé. Charles Blé Goudé est arrivé samedi 26 novembre à la place CP1 de la commune abidjanaise de Yopougon, tel un candidat en campagne. Debout depuis le toit ouvrant de sa voiture malgré une pluie battante, l’ancien ministre de la jeunesse de l’ex-président Laurent Gbagbo, fou de joie, a lentement fendu une foule en délire, en prenant le temps de serrer des mains, de danser, et de répéter un geste, le doigt sur sa montre, pour bien montrer qu’il était l’heure des retrouvailles avec ses sympathisants présents par milliers.
De retour de plus de dix ans d’exil et de prison, Charles Blé Goudé avait d’abord été accueilli à l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, par une dizaine de proches seulement pour des raisons de sécurité. Son premier geste fut de s’agenouiller sur le tarmac, avant de retrouver notamment l’ancienne première dame Simone Gbagbo ainsi que Pascal Affi N’Guessan, le président du Front Populaire Ivoirien (FPI), le parti historique de la gauche ivoirienne.
La « fête » annoncée, elle, a bel et bien eu lieu. La pluie l’a même rendue plus folle encore. Sur les sons des stars du zouglou Yodé et Siro ou encore Didier Bilé, les proches, sympathisants et militants, survoltés, ont chanté et dansé en attendant le discours du héros du jour. « Aujourd’hui, je suis malade, j’ai le palu. Je suis prêt à mourir pour le voir. Je ne veux pas qu’on me conte l’histoire de son retour, je veux le voir de mes propres yeux », crie au premier rang, Lambert Babri, responsable départemental du Congrès panafricain pour la justice, et l’égalité des peuples (Cojep), le petit parti dont Charles Blé Goudé est président.
Sur scène pendant plus de trente minutes, Charles Blé Goudé n’a pas perdu la verve et le verbe qui dans les années 2000 lui avaient valu d’être surnommé le « général de la rue ». Il était alors le leader charismatique de la jeunesse pro-Gbagbo, capable de mobiliser les militants pour défendre l’ancien président ivoirien, parfois lors de manifestations violentes, contre le néocolonialisme français et les rebelles. « Aujourd’hui, c’est une journée de remerciements (…) Je sais être reconnaissant. Quand tu as fait mal, je le dis. Mais quand tu as bien fait, je sais le reconnaître. Je voudrais dire merci aux autorités de la Côte d’Ivoire qui ont facilité mon retour, a-t-il insisté. Si je vous vois aujourd’hui, c’est grâce à elles. »
« Accompagner ce processus de paix »
Charles Blé Goudé a joué la carte de la réconciliation nationale. Après une « minute » de silence en hommage aux quelque 3 000 morts de la crise post-électorale de 2010-2011, l’ex-leader des Jeunes Patriotes a précisé son projet : « Depuis ma cellule de prison, j’ai rêvé de ce moment, a-t-il lancé aux sympathisants. Mon rôle n’est pas de vous révolter. Parce que ce pays a été blessé, ce peuple a été traumatisé. Vous avez besoin d’un discours qui vous rassure. (…) Mon devoir est d’accompagner ce processus de paix. »
Et alors qu’il avait souhaité que ce moment ne soit pas un « meeting politique », le revenant n’a finalement pas su faire autrement. « J’ai entendu quelqu’un dire “Blé Goudé sera notre prochain président”. Qui a dit ça ? Qui a dit ça ? », a-t-il demandé à un public levant les mains et criant « Prési, prési ».
Depuis son acquittement le 31 mars 2021 par la Cour pénale Internationale (CPI) de La Haye des crimes contre l’humanité dont il était accusé, aux côtés de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé ne cache pas ses ambitions présidentielles. « Aujourd’hui, c’est mon premier jour, je ne vais pas trop parler politique, parce que je ne suis pas de passage, je suis venu ici pour de bon. J’aurai le temps de vous parler. A cette même place, on fera un meeting politique où je vais aborder tous les sujets, a-t-il annoncé. Il est l’heure de la vérité. »
Comme il en avait l’habitude par le passé, il a usé de proverbes et d’expressions de son répertoire pour faire rire la foule. « Mon grand-père m’a dit : c’est pendant la saison sèche, que l’arbre compte les feuilles qui lui sont restées fidèles », a-t-il lancé à destination de ses fidèles soutiens.
Peu avant son discours, Simone Gbagbo avait souhaité dire « juste un mot » à Charles Blé Goudé : « On est très heureux. (…) Nous avons une nation et un peuple à bâtir, et avec ton énergie je suis sûre que tu vas venir prendre ta part, pour que la Côte d’Ivoire soit magnifiée et glorifiée. » Sans surprise, l’ex-président Laurent Gbagbo, ne s’est en revanche pas déplacé pour accueillir son « fils » avec qui les liens se sont distendus mais il avait dépêché cinq personnes pour représenter son nouveau parti le PPA-CI. Lors de son discours, le « fils » n’a eu aucun mot pour son ex-mentor.