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Les Ghanéens avaient bien besoin d’un moment de football. Se rassembler par milliers devant les écrans des bars et des fanzones, sortir les drapeaux rouge, vert, noir et jaune remisés après une Coupe d’Afrique des nations (CAN) médiocre, oublier le temps d’un match la plongée vertigineuse de leur économie et l’inflation qui tutoie les 40 %, pour voir, enfin, leurs Blacks Stars briller sur la pelouse du Stadium 974 de Doha, au Qatar.
Dans les modestes travées de la fanzone de Kanda, un quartier d’Accra, on s’inquiète de la féroce sélection portugaise, mais l’espoir est là. Les Etoiles noires peuvent compter sur leur figure de proue, André Ayew, et sur leur star polyvalente, Thomas Partey, mais aussi sur une étoile montante de 22 ans, Mohammed Kudus. Le Serbe Milovan Rajevac a été remercié après la CAN et remplacé par un entraîneur germano-ghanéen, Otto Addo, lui-même un ancien de l’équipe nationale, avec quinze sélections au compteur.
Les pronostics vont bon train, même parmi les militaires en uniforme, que l’on a fait venir plus tôt des services d’immigration tout proches. Les sièges, trop rares, sont déjà remplis à 15 heures, et quand le match commence on peine à trouver une place libre sur l’asphalte brûlant.
« Il ne reste plus que le football pour se réunir »
La première période commence en douceur, malgré quelques occasions pour Cristiano Ronaldo, qui font hurler le public et battre les tambours comme un immense cœur. Timorée, l’équipe ghanéenne ne touche pas un seul ballon dans la surface adverse au cours des quarante-cinq premières minutes. « C’est normal qu’ils soient intimidés, on a la sélection la plus jeune du tournoi, tempère Thomas Kassi, tout juste sorti du lycée, qui a réussi à se dénicher une chaise en plastique. La quasi-totalité de nos titulaires découvre la Coupe du monde en ce moment même, et les Portugais sont des durs à cuire. »
Les buteurs manquent plusieurs occasions, semblant parfois embarrassés de recevoir la balle. Mais l’équipe ghanéenne est bien organisée, et sa défense, solide pour le moment. Quand la première mi-temps s’achève sur un match nul, les fans respirent. Pour une fois, personne ou presque ne boit. La fanzone est sponsorisée par Club, la bière locale, et le prix du verre de 33 cl a été ramené à 5 cedis (0,33 euro) pour l’occasion. Mais cela représente tout de même un tiers du salaire journalier minimal, et à Accra l’ambiance n’est pas à la dépense. « Avec la crise économique qu’on subit ces temps-ci, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas la fête tous les jours, explique l’une des rares jeunes femmes présentes aux premiers rangs, Roberta Modin. Il ne reste plus que le football pour se réunir, et ressentir à nouveau la fierté d’être Ghanéens. »
Alors on renoue les drapeaux portés en toge ou en foulard, on chante au rythme des tambours infatigables et, surtout, on envoie ses prières à la sélection. « Je suis fier d’eux, ils ont réussi à tenir bon, se réjouit Francis Tandoh, professeur d’une quarantaine d’années à la mise élégante. Mais maintenant, il faut passer à l’attaque ! » Reste à battre le géant Ronaldo, quintuple Ballon d’or. Mais, à l’âge vénérable de 37 ans, il n’impressionne plus autant qu’avant. Du moins, du côté des fans. « Ça reste un bon joueur, bien sûr, mais il est sur le déclin, glisse M. Tandoh. Il a vieilli. Notre équipe est en pleine ascension, je pense qu’ils peuvent encore surprendre les Portugais en deuxième mi-temps. »
Euphorie et espoirs douchés
Au retour des vestiaires, les deux équipes semblent reprendre le même rythme jusqu’à ce que « CR7 », pas si croulant que cela, fasse tout basculer à la 62e minute. Après un contact avec Salisu, il s’écroule dans la surface de réparation, s’attirant au passage un chapelet d’insultes dans la fanzone. Comme la sélection ghanéenne, qui hurle sur la pelouse, on juge la faute du défenseur trop légère pour justifier un penalty, mais Ronaldo est sans pitié. Trois minutes de protestations vaines plus tard, il s’élance et marque d’une frappe sèche : le Portugal ouvre le score à la 65e minute. Pour les Black Stars, c’est l’électrochoc.
Tout s’emballe alors : une frappe météoritique de Kudus (72’) permet à Ayew d’égaliser, rendant fous les supporteurs, qui se lèvent d’un bond pour aller danser devant l’écran. A peine ont-ils le temps de se rasseoir qu’un nouveau but de Joao Felix (78’) douche leur joie toute fraîche. Encore deux minutes, et Rafael Leao (80’) s’y met à son tour, dernier clou dans le cercueil des Black Stars. Au premier rang, on a les larmes aux yeux.
Sûr de la victoire du Portugal, le sélectionneur Fernando Santos décide alors de faire tourner son effectif et sort Ronaldo. C’est le moment qu’attendait le Ghana pour réagir : Osman Bukari, fraîchement entré, marque de la tête face à Diego Costa et réduit l’écart (89’). Déjà 3-2. L’arbitre accorde neuf minutes de temps additionnel, et lors des ultimes secondes de jeu, les Black Stars frôlent l’exploit : l’attaquant Inaki Williams confisque le ballon à Diego Costa, faisant trembler un instant la Seleçao. Mais les défenseurs portugais brisent son élan, lui ôtant la possibilité d’égaliser.
Au coup de sifflet final, le Ghana se retrouve donc dernier d’un groupe H homogène, avant ses rencontres avec la Corée du Sud (28 novembre) et l’Uruguay (2 décembre). « Nous sommes un peu déçus, mais, surtout, nous sommes fiers de nos frères, assure le photographe autoproclamé de l’évènement, un policier en civil surnommé Reality. « C’était le meilleur match pour l’Afrique. » A Kanda, les fans s’étreignent une dernière fois avant de se disperser. Pendant quatre-vingt-dix minutes, les Ghanéens auront eu le droit d’espérer.