Foxconn, le géant taïwanais qui gère la plus grande usine de fabrication d’iPhone au monde, cherche depuis mercredi à apaiser le mouvement de contestation qui agite une partie de ses 300 000 ouvriers. Une situation explosive qui en dit long sur les conséquences sociales de la politique « zéro Covid » à l’heure où la pression exercée par les grandes marques sur ces usines est à son comble.
Des affrontements entre policiers et ouvriers, suivis d’une promesse de généreux bonus et d’un rare mea culpa. Le tout sur fond de tensions liées à l’application de la politique chinoise du « zéro Covid », qui ont exposé au grand jour les très pénibles conditions de travail dans la plus grande usine de fabrication d’iPhone au monde.
Les deux derniers jours n’ont pas été de tout repos pour Foxconn, le géant taïwanais qui exploite la « méga-usine » de Zhengzhou, capitale de la province du Henan, dans le centre de la Chine. « Nous nous excusons pour une erreur technique dans les versements de primes », a déclaré, jeudi 24 novembre, un responsable de Foxconn.
Où sont les primes ?
Des excuses rarissimes pour un groupe qui a bâti sa réputation sur sa capacité à gérer d’une main de fer des « usines-villes » où peuvent travailler jusqu’à 350 000 employés simultanément. Pour la plus grande satisfaction de la plupart des grandes marques mondiales d’électronique – Apple, Samsung, Xiaomi, Oppo – qui y font fabriquer leurs smartphones et autres appareils électroniques.
Mais il y a actuellement un gros grain de sable dans les rouages de cette très efficace mécanique. Plusieurs vidéos ayant circulé sur les réseaux sociaux mercredi ont permis au monde de se rendre compte du ras-le-bol des ouvriers de l’usine de Zhengzhou : des centaines d’entre eux ont manifesté bruyamment aux alentours du gigantesque complexe et n’ont pas hésité à se battre avec les forces de l’ordre venues pour faire taire la contestation.
Ces ouvriers se plaignaient notamment du double discours qu’aurait tenu Foxconn. Ils auraient reçu l’assurance de toucher d’importantes primes en arrivant sur le site, mais ont découvert que le versement de cet argent n’interviendrait qu’après plusieurs mois.
En outre, ces saisonniers accusaient leur employeur de les avoir forcés à cohabiter avec d’autres travailleurs ayant eu le Covid-19 dans les chambres de cette cité industrielle qui s’étend sur plus de 10 km². Des conditions de vie inacceptables dans un pays « où le discours officiel a longtemps été de souligner les dangers du Covid-19 pour justifier la mise en place de mesures sanitaires drastiques », rappelle Xin Sun, spécialiste de la politique industrielle au King’s College de Londres.
Foxconn a immédiatement contesté cette dernière accusation, assurant qu’il y avait des mesures de quarantaine mises en place et que toutes les chambres étaient régulièrement désinfectées.
Des tensions sociales qui ont tout à voir avec l’évolution de la situation sanitaire dans le pays en général – la Chine vient d’enregistrer le plus grand nombre de nouvelles contaminations quotidiennes au Sars-CoV2 depuis le début de la pandémie – et dans la région du Henan en particulier.
Zhengzhou, la capitale provinciale, vient de décider d’imposer un confinement à ses six millions d’habitants. Une mesure qui rappelle les heures les plus dures de la politique « zéro Covid » de Pékin, alors que les « autorités avaient commencé à changer de ton ces dernières semaines, assurant que le Covid n’est peut-être pas si grave que ça, afin de préparer la population à une réouverture complète de son économie », souligne Xin Sun.
« Zéro Covid » vs 100 % des iPhone sous le sapin
Dans l’usine locale de Foxconn, la situation est plus complexe. Depuis la découverte, mi-octobre, des premiers cas de contamination, les responsables ont mis en place un protocole censé répondre aux deux exigences contradictoires du régime : maintien de la politique du « zéro Covid » et obligation de produire à tout prix.
Les ouvriers n’ont plus le droit de manger ensemble à la cantine et reçoivent trois repas par jour qu’ils doivent prendre dans leur chambre. Mais la nourriture est distribuée à des heures de travail et « des employés ont raconté que les plats étaient froids quand ils rentraient dans leurs quartiers d’habitation », relate le South China Morning Post.
Les déplacements et autorisations de sortie ont été réduits au minimum pour contenir la propagation du virus, tandis que les cadences de travail ont été augmentées pour tenir les délais des multinationales. Il faut bien que le dernier iPhone et autres gadgets construits dans ces usines soient présents sous les sapins du monde entier.
Résultat : des milliers d’ouvriers ont fui l’usine, fin octobre, face à cette dégradation des conditions de travail. Des images de travailleurs escaladant et détruisant les grillages entourant l’usine ont fait le tour des réseaux sociaux chinois, avant d’être censurées par les autorités.
« J’étais dans la même chambre que deux personnes qui ont été testées positives et n’ont reçu aucun traitement. J’avais peur de tomber malade, j’avais peur de mourir, alors j’ai fui et j’ai marché pendant 30 km sur l’autoroute avant qu’un camion n’accepte de me prendre », a raconté un ancien ouvrier au South China Morning Post. D’autres ont affirmé avoir traversé des centaines de kilomètres à pied pour retourner chez eux.
Après cet exode massif, impossible pour Foxconn de continuer à produire comme si de rien n’était. Fait rare : Apple a confirmé, début novembre, qu’il y aurait probablement des retards dans la livraison de ses derniers iPhone 14.
« Ce qui se passe dans le complexe de Foxconn s’est aussi produit dans des dizaines d’autres usines en Chine. Mais l’importance de la contestation et le poids économique de ce site précis font qu’on se rend vraiment compte du coût économique et social pour les travailleurs de la politique ‘zéro Covid' », assure Xin Sun.
Déboires de Foxconn en Chine, aubaine pour Foxconn en Inde et au Vietnam ?
Grâce à cette usine, Foxconn est le troisième plus important exportateur de Chine, ayant vendu à l’étranger pour 39 milliards de dollars de produits électroniques en 2019, rappelle le Financial Times. Près de 60 % de tous les iPhone y sont produits.
Ce site représente aussi le poumon économique de la province du Henan : il est responsable de plus de 60 % des exportations totales de la région et de 90 % de celles de Zhengzhou, rappelle Marina Zhang, spécialiste de l’industrie chinoise à l’université technologique de Sydney, dans un article publié par le site The Diplomat.
Pas étonnant dans ces conditions que les autorités locales ont tout fait pour aider Foxconn à recruter en urgence pour tenir les délais. Ils ont, notamment, enjoint à plusieurs villages d’envoyer un contingent de travailleurs qui pourraient, temporairement, aller donner un coup de main dans l’usine de Zhengzhou, souligne le South China Morning Post.
Même Pékin s’est transformé en recruteur de luxe, demandant aux vétérans de l’armée de reprendre du service en tant qu’ouvriers, explique la chaîne britannique BBC. Le régime cherche à gommer « la très mauvaise image, sur la scène internationale, de la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement chinoise donnée par cette affaire », assure Xin Sun.
À l’heure où une partie des pays occidentaux se demandaient déjà comment réduire leur dépendance à la Chine, cet épisode risque de les pousser « à chercher à diversifier davantage leurs sources d’approvisionnement », estime Xin Sun.
Un mouvement qui « ne se fera pas du jour au lendemain car, à l’heure actuelle, aucun pays ne dispose du même mélange de main d’œuvre à faible coût et d’infrastructures de bonne qualité », estime l’économiste du King’s College. Mais sur le plus long terme, cet épisode risque de laisser des traces et des grands groupes pourraient trouver que des pays comme l’Inde ou le Vietnam – où Foxconn a déjà construit des usines – pourraient représenter des alternatives valables à la Chine.