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La fronde monte contre la politique de discrimination positive en Afrique du Sud

La fronde monte contre la politique de discrimination positive en Afrique du Sud


LETTRE DE JOHANNESBURG

Selon Mteto Nyati, nouveau membre du conseil d’administration d’Eskom, « la corruption se fait largement sur le dos des politiques de discrimination positive qui promeuvent les petites entreprises locales ». Ici à Johannesburg, en juin 2013.

Depuis l’élection de Nelson Mandela en 1994, corriger les injustices héritées de l’apartheid est l’une des missions sacrées que s’est donnée l’ANC, le parti qui gouverne l’Afrique du Sud. Aussi y avait-il de quoi être étonné quand, début novembre, plusieurs médias sud-africains ont annoncé que la plus emblématique des politiques de discrimination positive, le « Black economic empowerment », ne serait plus prise en compte dans l’attribution des marchés publics. Une nouvelle fracassante, aussitôt démentie par le gouvernement. Mais l’ambiguïté qui continue d’entourer la séquence trahit le malaise grandissant autour de ces politiques accusées de nourrir la corruption et de nuire à l’économie.

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L’imbroglio prend racine dans une législation complexe qui permet à l’Etat sud-africain de donner un avantage à certaines entreprises dans le cadre de l’attribution de marchés publics afin de favoriser « les catégories de personnes historiquement désavantagées en raison de discriminations injustes fondées sur la race, le genre ou le handicap ». Le principal critère de cette discrimination positive repose sur la notion de « broad-based Black economic empowerment », communément abrégé BEE. Chaque entreprise possède un « score BEE », déterminé en grande partie par la couleur de peau de ses dirigeants.

Traditionnellement, le mécanisme consiste à pondérer le prix proposé par une entreprise en réponse à un appel d’offres dans le cadre d’un marché public par son score BEE. Mais depuis 2017, une régulation bien plus radicale permet notamment de disqualifier d’office une entreprise qui n’aurait pas un score BEE satisfaisant. Mécaniquement, elle autorise également à réserver l’attribution d’un marché public aux entreprises possédées à 100 % par des personnes de couleur. Une décision rapidement contestée devant la justice par Sakeliga, un lobby opposé aux politiques de discrimination positive et plus généralement à l’intervention de l’Etat dans l’économie.

En février, alors que les critiques pleuvent sur les effets pervers de ces régulations, la Cour constitutionnelle sud-africaine a donné raison à Sakeliga. Estimant que le ministre des finances a outrepassé ses pouvoirs, elle somme le gouvernement de revoir sa copie. Dans la foulée, plus d’une centaine d’entités publiques demandent à être exemptées des dispositions jugées illégales. Parmi elles, Eskom, la compagnie publique d’électricité sud-africaine, dont les déboires actuels illustrent les limites du système.

Des entreprises incompétentes

Au bord du gouffre, Eskom impose à l’Afrique du Sud des coupures de courant quotidiennes afin d’éviter l’effondrement du réseau électrique alors que ses centrales à charbon croulent sous les pannes. La majeure partie d’entre elles ont plus de 40 ans, mais les plus récentes, âgées d’à peine quelques années, rencontrent les mêmes problèmes. Car c’est en réalité la compétence qui fait défaut au géant de l’électricité sud-africain.

« Si Eskom n’est pas capable de fonctionner, c’est en grande partie parce que les gens chargés de la maintenance ne font pas leur boulot correctement », explique un fin connaisseur de la société qui assure que des entreprises incompétentes, corrompues, ou les deux, ont obtenu des contrats de maintenance sous couvert de ce que l’Afrique du Sud appelle les politiques de « transformation » de l’économie.

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Dans une interview explosive à l’hebdomadaire Sunday Times, fin octobre, l’un des nouveaux membres du conseil d’administration d’Eskom, le très respecté dirigeant d’entreprise Mteto Nyati, affirmait carrément que « la corruption se fait largement sur le dos des politiques de discrimination positive qui promeuvent les petites entreprises locales ». « Pour le moment, nous devons avoir les meilleures personnes pour faire le boulot, parce que ce sont elles qui doivent réparer ce qui doit être réparé, peu importe leur apparence », poursuivait-il, appelant à « revoir, et modifier si besoin » la législation. Un discours inimaginable dans la bouche d’un haut responsable d’entreprise publique il y a encore quelques mois.

Sans surprise, les propos de Mteto Nyati sont violemment attaqués par les promoteurs de la « transformation », au point que la direction d’Eskom se fend d’un communiqué assurant qu’elle « soutient toutes les politiques gouvernementales visant à transformer l’économie sud-africaine » et assure que les propos de son responsable ont été déformés. Interrogé par le Parlement sur le sujet, le président Cyril Ramaphosa lui-même est monté au créneau pour défendre les « politiques de transformation » sud-africaines. On l’imagine mal faire autrement alors qu’il s’apprête à jouer sa réélection à la tête du parti en décembre et que l’ANC a fait de la « transformation » l’un de ses principaux arguments électoraux.

« Développer une nouvelle vision »

C’est dans ce contexte que, le 4 novembre, le gouvernement sud-africain a enfin publié les nouvelles régulations encadrant les conditions d’attribution des marchés publics visant à se conformer au jugement de la Cour suprême rendu en février. La nouvelle mouture, très sobre, restreint considérablement le champ d’application de la discrimination positive et gomme toute référence à la politique de « Black economic empowerment », poussant plusieurs médias à affirmer que le gouvernement vient d’abandonner ce critère.

A son tour sous le feu des critiques, le ministre des finances, Enoch Godongwana, convoque une conférence de presse pour « clarifier » la situation. Il assure que les nouvelles mesures visent simplement à se conformer à une décision de justice et ne signalent aucun changement de politique. Une simple modification technique, en substance, qui transfère aux divers organes de l’Etat la responsabilité de définir eux-mêmes les règles d’attribution préférentielles des marchés publics. Ce qu’omet de préciser le ministre, c’est que les nouvelles régulations enterrent, de fait, l’ensemble des mesures radicales adoptées en 2017, comme la possibilité de disqualifier une entreprise en fonction de son « score BEE ».

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La saga est loin d’être terminée. Dans les prochains mois, une nouvelle loi plus large encadrant les règles d’attribution des marchés publics doit préciser la position de l’ANC sur le sujet. Mais déjà, le président Cyril Ramaphosa, tout en assurant que la politique de BEE « n’est pas menacée », souligne la nécessité de « développer une nouvelle vision » de cette politique afin de s’adapter « aux réalités économiques ».

Retrouvez ici toutes les lettres de nos correspondants.

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