Au poste-frontière d’Erez, les voyageurs entrent à Gaza en suivant une série de flèches, dessinées au marqueur bleu sur des feuilles de format A4. Une main anonyme les a scotchées aux murs de multiples sas, dans cet immense hangar de verre et de métal, presque désert. Juchés au-dessus de nous, à l’étage, dans une passerelle vitrée, des soldats israéliens dominent nos allées et venues. Ils commandent les ouvertures et fermetures des portes lorsqu’un employé arabe leur révèle à grands gestes, à grands cris, une complication imprévue.
En bas, les militaires sont presque absents, les caméras omniprésentes. La plupart des échanges ont lieu avec les auxiliaires palestiniens de ce « terminal ». Cela réduit les « frictions » avec quelque 17 000 Gazaouis dotés par l’armée d’un permis de passage. Ce sont des ouvriers ou des entrepreneurs, pères de famille pour la plupart, des malades en route vers les hôpitaux de Jérusalem-Est, des « privilégiés ».
Autour d’Erez s’étend le mur israélien : une vaste construction de béton et de grillages bardée de caméras et de capteurs. Il ceint la ville de Gaza et son arrière-pays. Mais de « pays » à vrai dire, il n’y a pas. Gaza n’est qu’une langue de sable étriquée au bord de la Méditerranée, d’à peine 40 kilomètres de long, de 6 à 12 kilomètres de large.
Plus de deux millions de Palestiniens y demeurent, soumis à un blocus israélien depuis 2007. C’est l’année où le mouvement islamiste Hamas a pris le contrôle de l’enclave, chassant l’Autorité palestinienne. Pour prendre la mesure de cet enclos, nous l’avons traversé à pied, du Nord au Sud, au début du mois d’octobre. Durant six jours, nous avons parcouru tôt le matin et tard l’après-midi, avec le photographe Lucien Lung et le journaliste gazaoui Hassan Jaber, cet espace où la résistance des corps et des âmes défie l’entendement.
Au débouché du mur, le périple démarre par la traversée d’un vaste terre-plein grillagé, à ciel ouvert, qui s’étend sur près de 2 kilomètres. Nous saluons des douaniers aussi cordiaux qu’inutiles, derniers vestiges de l’Autorité palestinienne, puis franchissons le point de contrôle du Hamas. En remontant au nord, un village de bois et de tôle, des champs de maïs. Une caméra du Hamas, suspendue dans un arbre, et un garde dans sa guérite nous scrutent. Nous bifurquons à l’est, sous l’œil d’un ballon d’observation israélien tout blanc, tout rond.
Soudain, juste derrière une courte pente, le terrain s’aplanit sur un site industriel en plein air. Ahmad Al-Kafarneh émerge d’une pyramide de graviers, la face couverte de poussière blanche. A 27 ans, Ahmad récupère les décombres causés par des bombardements qu’Israël a menés dans l’enclave en août. Il les broie et en fait des parpaings tout neufs. Ces frappes aériennes contre le Jihad islamique, petit mouvement frère du Hamas, l’ont déçu. « Je prie pour une autre guerre, plaisante-t-il, provocateur. Celle de 2021 était mieux [onze jours de bombardements, 260 morts Palestiniens et 13 en Israël]. Celle de 2014, walla ! Très bonnes affaires ! » Pour la dernière fois après l’opération terrestre de 2008-2009, l’armée israélienne avait envoyé alors chars et fantassins dans Gaza.
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