L’ACTU VUE PAR – Toujours doté de ses fameuses chaussettes rouges, l’Ivoirien Stanislas Zézé s’est patiemment imposé ces quinze dernières années dans le club fermé de la notation financière africaine. Une vingtaine d’États et une centaine d’entreprises font désormais appel aux services de son agence, Bloomfield Investment Corporation, pour évaluer leur capacité de remboursement dans leur propre devise. À l’écoute des réalités africaines et des attentes des décideurs du continent, l’entrepreneur n’en défend pas moins son indépendance et la rigueur de ses travaux.
Grand invité de l’économie RFI/Jeune Afrique le 8 octobre, Stanislas Zézé livre son analyse sur le récent coup d’État au Burkina Faso, l’action de la Cedeao, la perception de la France en Afrique ou encore la nécessaire et très attendue démocratisation des débats politiques sur le continent.
Jeune Afrique : Le Burkina Faso a un nouveau militaire à sa tête. Le capitaine Ibrahim Traoré a contraint le putschiste du mois de janvier, le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, à démissionner le 2 octobre. Que vous inspirent ces coups d’État à répétition en Afrique de l’Ouest ? Ne tirent-ils pas la Guinée, le Mali et le Burkina Faso en arrière ?
Stanislas Zézé : Évidemment, un coup d’État est condamnable. Ce n’est pas une façon de transférer le pouvoir. Cependant, cela démontre bien qu’il y a une crise de modèle politique. Il est peut-être temps que les leaders africains le repensent car, à l’évidence, il ne fonctionne plus. Je parle de l’organisation de la gouvernance politique. Est-ce qu’il faut une concentration des pouvoirs, une séparation des pouvoirs, un équilibre des pouvoirs ? Dans la majorité des pays africains, ce qui, sur le papier, apparaît comme un système démocratique est en réalité un modèle où tous les pouvoirs sont concentrés. Et cela crée beaucoup de frustration.
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Voyez-vous, en Afrique, un pays qui a su prendre ses distances avec cette tendance ?
Un pays comme le Botswana fonctionne très bien. Je pense que globalement les pays anglophones ont peut-être mieux compris cette idée d’équilibrer les pouvoirs. Généralement, en Afrique, vous avez des présidents qui sont très forts et des institutions qui sont plutôt fragiles. Des institutions fortes permettraient d’équilibrer les pouvoirs. Un système judiciaire fort, un système législatif très fort et un exécutif fort également s’équilibrent naturellement, quel que soit le président de la République en poste.
les sanctions prises contre le Mali n’ont absolument pas permis d’améliorer la situation
Vous travaillez au Mali et au Burkina Faso. Dans quel état d’esprit sont les entrepreneurs que vous côtoyez dans ces pays ?
Dans les pays africains, les entreprises ont commencé à se démarquer de la sphère politique. Donc, en réalité, les coups d’État n’ont que très peu d’impact sur le secteur privé. Sauf évidemment s’il y a une situation de rupture qui, pour des raisons de sécurité, impose la cessation des activités. Les coups d’État ne perturbent pas nécessairement le business et ne mettent pas en danger les investissements étrangers, contrairement aux sanctions de la Cedeao.
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Vous trouvez vraiment que les sanctions prises par la Cedeao sont plus néfastes pour l’économie que les coups d’État eux-mêmes ?
La Cedeao ne prend pas le temps de comprendre pourquoi ces coups d’État ont lieu. Il faut chercher la cause du problème. Une sanction, c’est bien sur le papier. Mais les sanctions prises contre le Mali n’ont absolument pas permis d’améliorer la situation. Cela n’a pas empêché d’autres coups d’État. Elles pénalisent les peuples au lieu de pénaliser les auteurs des putschs qui, eux, obtiennent 24 ou 36 mois pour réaliser la transition.
Ces trois derniers mois, le Mali est revenu sur le marché financier régional à plusieurs reprises, en réalisant ses objectifs de levée de fonds. Cela vous a-t-il surpris ?
Je pense qu’aujourd’hui le marché a évolué dans sa perception du risque. Les investisseurs ne vont pas forcément se focaliser sur le passé, mais évaluer la capacité du pays à assumer ses obligations financières. Ils se mettent dans une logique prospective. Quelle est la capacité intrinsèque de l’État à faire face à sa dette ?
Toutes les restrictions doivent être levées pour faire que la Zlecaf devienne une réalité.
Concernant le Mali, n’y a-t-il pas une véritable incertitude sur la capacité du pays à tirer profit de sa nouvelle alliance avec la Russie ?
Ce n’est pas ce nouveau partenaire qui va rembourser la dette du Mali. Nous sommes dans un jeu politique dans lequel les gens changent de partenaire tous les jours. Ce sont les prérogatives des autorités. Ce qu’il faut évaluer, c’est la capacité du pays à faire face à ses obligations. Et ce que l’on constate, c’est que dès que les sanctions de la Cedeao ont été levées, le Mali a remboursé ses échéances.
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Que pensez-vous du sentiment antifrançais extrêmement fort qui s’est développé ces dernières années en Afrique, particulièrement dans les pays du Sahel ? Est-ce que Paris a perdu la bataille de l’opinion ?
Honnêtement, je ne crois pas qu’il y ait un sentiment antifrançais. Les Africains ne détestent pas les Français. C’est un ressentiment à l’égard de la politique française en Afrique telle qu’elle continue à être menée, malheureusement. La France n’a pas compris l’avantage historique et culturel qu’elle a vis-à-vis du continent. Les gens changent. Les environnements changent. Aujourd’hui, les jeunes sont décomplexés, leur posture n’est plus la même que celle de leurs parents et grands-parents en ce qui concerne la France. Mais l’attitude des politiciens français, elle, n’a pas évolué et cela provoque des grincements de dents.
Quand vous empruntez, vous remboursez, c’est une question de responsabilité
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les pays africains vont-ils devoir choisir leur camp entre les Occidentaux et les Russes ?
Aujourd’hui, les Africains ne doivent pas être mis dans cette position. Ce sont des grands garçons et des grandes filles, indépendants. L’Afrique devrait aujourd’hui plutôt profiter de cette mutation internationale et se poser la question fondamentale de sa capacité à être autosuffisante, pour ne que personne n’ait plus à lui demander de choisir. La question que les leaders africains devraient se poser n’est pas de savoir s’il faut s’aligner à gauche ou à droite, mais quelle stratégie mettre en place pour être indépendant.
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En enclenchant le projet de Zone de libre-échange économique africaine (Zlecaf), les dirigeants ont-ils pris la bonne direction ?
C’est une excellente initiative, mais un certain nombre de préalables doivent être remplis pour faire de la Zlecaf un succès. Les marchés des capitaux sont encore fragmentés. Il subsiste encore beaucoup de barrières : les visas, des monnaies qui ne sont pas convertibles entre elles… Toutes ces restrictions doivent être levées pour faire que ce marché commun devienne une réalité.
Il y a quelques semaines, la Chine a annoncé des annulations de dettes pour un certain nombre de pays africains. Est-ce une bonne chose ?
Je ne crois pas que ce soit nécessairement quelque chose à souhaiter. Quand vous empruntez, vous remboursez, c’est une question de responsabilité. Je n’aimerais pas que l’on infantilise les Africains. Je ne suis pas un partisan de l’annulation de la dette. Je trouve que c’est créer une très mauvaise réputation pour les pays concernés. Si la Chine décide d’annuler une dette sans contrepartie, pourquoi pas. Mais, il ne faut pas que ce soit à l’initiative des pays africains. Si vous montrez que vous n’êtes pas capable de faire face à vos obligations, la fois suivante, l’argent coûtera beaucoup plus cher. La crédibilité, c’est l’élément fondamental.
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Vous venez de remettre un rapport sur le risque pays de la RDC, que vous notez 5,1 sur 10. Pourquoi Kinshasa a-t-elle souhaité se livrer à cet exercice ?
Je crois que les Congolais ont compris qu’il est important de montrer patte blanche. Ce qui se passait auparavant, c’est que les pays mettaient en avant leur potentiel. Mais cela ne signifie pas forcément qu’il y a une opportunité. Ce type d’exercice permet aux investisseurs d’avoir une visibilité sur la crédibilité du pays, mais aussi sur ses forces et ses faiblesses. Les investisseurs ne recherchent pas nécessairement des réponses positives, ils veulent la bonne information et c’est ce que nous essayons de donner.
Tidjane Thiam est un brillant personnage et une très belle personne
Bloomfield réalise des évaluations en monnaie locale. Est-ce qu’être au plus près des réalités locales revient systématiquement à donner une meilleure note que celles que donnent les agences internationales comme Fitch Ratings, S&P ou Moody’s ? On a le sentiment que vous êtes un peu l’agence des bonnes nouvelles pour les pays africains…
Quand vous notez en devise étrangère, vous évaluez la capacité de rembourser en dollar. L’accent est alors mis sur les réserves de devises et la politique de transfert de celles-ci. Ainsi, pour des pays d’économie de rente, qui collectent des devises en vendant des matières premières et utilisent ces mêmes devises pour importer des produits finis, le niveau des réserves en devises est faible. Ce qui les condamne à avoir de mauvaises notes, quelle que soit la performance de leur économie.
Ce n’est pas parce que vous êtes pauvre en dollar que vous êtes pauvre. Nous ne baissons pas les standards d’évaluation. L’approche est différente. Elle s’adresse d’abord à des investisseurs africains, mais aussi internationaux qui veulent savoir si l’emprunteur est crédible, avant même de parler de sa capacité à rembourser en dollar.
L’Afrique a-t-elle besoin d’une agence panafricaine, comme le souhaite Macky Sall, pour gagner en souveraineté ?
Toutes les agences sont panafricaines à partir du moment où elles notent plusieurs pays. Maintenant, il s’agit de créer un cadre qui leur permettrait d’avoir une capacité de couvrir tout le continent. Mais il n’y a pas besoin de créer une agence publique. L’Europe a essayé – et a compris – qu’il n’est pas possible d’avoir une agence publique indépendante.
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En Côte d’Ivoire, les pouvoirs publics – au travers de la Banque nationale d’investissement et d’autres entités – ont annoncé racheter la Bicici, la filiale de la BNP. Est-ce un bon investissement pour l’État ?
Si cette acquisition est faite dans la perspective de mieux financer les entreprises ivoiriennes pour qu’elles contrôlent l’économie domestique, oui, c’est une bonne chose. Les entreprises locales ont besoin de financements et, malheureusement, elles ne rentrent pas forcément dans le schéma des banques étrangères. Si c’est juste pour faire du profit, je dirais que ce n’est pas le rôle de l’État.
Ancien ministre, banquier, désormais investisseur, Tidjane Thiam est revenu il y a quelques mois en Côte d’Ivoire… Et il ne cache pas ses ambitions politiques. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Est-ce un bon profil pour diriger la Côte d’Ivoire ?
J’ai beaucoup de respect pour Tidjane Thiam. C’est un brillant personnage et une très belle personne. Au-delà de la technicité, les gens ont besoin d’un renouveau dans les pays africains, d’un nouveau dynamisme. Je crois que la jeunesse africaine ne veut pas voir toujours les mêmes. Pendant longtemps, il y a eu une logique de pensée unique. Il faut qu’il y ait plus de compétition, que ce soit beaucoup plus ouvert. Même dans les partis, il n’y a pas de débat, de discussions.
Le mois prochain, la COP27 se tiendra en Égypte pour réfléchir à de nouvelles mesures pour limiter le changement climatique et ses effets. Vous intégrez ces paramètres dans vos travaux ?
Nous prenons en considération tous ces paramètres. Nous comprenons aussi que les pays africains sont dans une situation assez particulière : on leur demande de ne pas vraiment se développer pour que les autres puissent continuer à polluer ! Aujourd’hui, tout le monde est conscient qu’il faut absolument faire un effort climatique, mais on ne peut pas ignorer le fait que les pays africains ont besoin des énergies fossiles pour s’industrialiser. Mais il faut aussi que les États réfléchissent avant de signer des accords par lesquels ils renoncent à utiliser des énergies fossiles et qui, ensuite, les engagent.