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C’est une affaire rocambolesque, mêlant mines d’or clandestines, soupçon de chantage à la sextape et tensions diplomatiques, qui passionne – et révolte – les Ghanéens depuis début septembre. Celle de la magnat des mines Aisha Huang, surnommée par la presse locale la « Galamsey Queen » (en français, la « reine de l’extraction minière illégale ») et jugée cet automne devant la Cour criminelle spéciale d’Accra avec trois autres ressortissants chinois. Interpellée en septembre à Kumasi, cette femme de 47 ans est accusée d’exploitation illégale d’or et de bois à Bepotenten, dans le district central d’Amansie, en région Ashanti.
Ce n’est pas la première fois qu’elle comparaît pour ce motif : arrêtée et jugée entre 2017 et 2018, Aisha Huang avait pu repartir en Chine en 2019 dans des circonstances floues. Le précédent procès, ouvert en mai 2017, s’était achevé dans la confusion après que le ministère de la justice eut retiré ses poursuites, en décembre 2018. Dans les rangs du gouvernement, sommé de rendre des comptes, une certaine cacophonie régnait à l’époque. Certains responsables assuraient aux journalistes qu’Aisha Huang avait été expulsée, d’autres qu’elle avait fui le pays. Le président Nana Akufo-Addo lui-même avait fini par admettre dans la presse qu’il n’en savait rien.
C’est le ministre d’Etat Yaw Osafo-Maafo qui avait fini par évoquer une extradition vers Pékin, justifiant cette décision par les « excellentes relations diplomatiques entre le Ghana et la Chine », en tête des investissements directs étrangers dans le pays. « La principale entreprise qui contribue au développement du système d’infrastructures au Ghana est Sinohydro, une entreprise chinoise, avait-il alors rappelé dans la presse locale. C’est elle qui va nous aider à traiter notre bauxite et qui va nous fournir 2 milliards de dollars. » Et de conclure : « Derrière ces arrangements, d’autres choses se jouent en coulisses. Mettre [Aisha Huang] en prison ne résoudra pas nos problèmes économiques. »
« Notre Etat a peur d’elle »
Ces justifications laborieuses ont été exhumées ces dernières semaines par les internautes ghanéens, furieux du retour de la « Galamsey Queen » sur leur sol. Comment a-t-elle pu se procurer un visa et revenir au Ghana ? Dans la presse et sur les réseaux sociaux, le bruit court que la femme d’affaires aurait à sa disposition des sextapes impliquant plusieurs membres du gouvernement, qu’elle ferait chanter. Ou encore qu’elle se serait mariée à un mystérieux Ghanéen qui aurait pu lui procurer des papiers.
Le bruit court qu’elle aurait à sa disposition des sextapes impliquant plusieurs membres du gouvernement
« Le procureur général n’est plus le même qu’en 2018, donc on espère que celui-ci fera son travail jusqu’au bout, souffle une source ministérielle proche du dossier. Mais moi je n’y crois pas trop. Le procureur général est nommé par le gouvernement… et le gouvernement, lui, n’a pas changé. » « Notre Etat a peur d’elle, affirme le militant et caricaturiste Bright Ackwerh, qui croque les pontes chinois et ghanéens d’une même plume acerbe. Nos dirigeants se retrouvent dans un marasme qu’ils ont eux-mêmes créé. Ils ont perdu la confiance de la population avec leurs mensonges éhontés en 2018, cette même population qui assiste en première ligne aux dégâts environnementaux de l’extraction minière illégale. »
Car cette dernière, exercée hors de tout contrôle, pollue le sol et l’eau des régions exploitées, en particulier dans le cas des mines d’or, qui emploient d’énormes quantités de mercure ensuite déversées dans les rivières. Des répercussions dont les chercheurs d’or chinois sont accusés d’être au mieux inconscients, au pire indifférents, et qui sont à l’origine d’un sentiment antichinois grandissant dans les régions les plus affectées du Ghana.
Des habitants expulsés
« Il n’y a pas que la question du respect de nos terres, il y a aussi celle du respect de nos droits humains, précise le professeur Raymond A. Atuguba, doyen de la faculté de droit de l’Université du Ghana, qui creuse le sujet depuis 2017. Dans le galamsey, mais aussi dans d’autres secteurs d’activité au Ghana, les Chinois sont souvent critiqués pour la manière dont ils traitent les travailleurs locaux. » En 2020, l’ONG Environmental Justice Foundation alertait ainsi sur les conditions de travail des équipages ghanéens employés sur les chalutiers chinois, astreints à des cadences intenables, privés d’eau potable et parfois même passés à tabac.
Derniers exemples en date : la tentative de meurtre présumée d’un certain Isaac Boateng, le 29 septembre, qui aurait été égorgé par son employeur chinois, directeur de l’entreprise de travaux Paulichenda Engineering, pour avoir réclamé les salaires impayés de son équipe. Puis, le lendemain à Talensi (nord), l’annonce de l’éviction de mineurs ghanéens qui avaient refusé de céder leurs terres à la société minière Shaanxi, liée à l’Etat chinois. Le gouvernement ghanéen, qui avait approuvé les plans d’expansion de la mine, y a envoyé l’armée pour expulser les habitants des parcelles disputées.
Autant d’ombres au tableau de l’amitié sino-ghanéenne si souvent vantée par les autorités. « Plus la colère monte, plus le peuple réclame des sanctions, conclut Raymond A. Atuguba. Lorsque nos dirigeants ne peuvent pas prendre les mesures nécessaires, leur autorité est compromise. Et si leur autorité est compromise, alors notre souveraineté est menacée. »