» Plus aucune logique industrielle « . C’est la raison mise en avant par TF1 et M6 pour renoncer, le 16 septembre, à leur fusion après que l’Autorité de la concurrence a laissé transpirer son avis défavorable au rapprochement. « Face à Netflix, nous sommes des nains « , avait d’ailleurs lâché imprudemment Gilles Pélisson, lors d’un de ses nombreux contacts avec l’Autorité, comme si l’addition de deux nains faisait un géant…
Une fois de plus, la décision d’un régulateur, à Paris ou à Bruxelles, déchaîne les passions. Un patron du CAC 40, très ouvert sur l’international, ne mâche pas ses mots : « La vision mortifère de l’Autorité de la concurrence fait peur. Comment son président peut-il proclamer qu’il n’est pas là pour faire de la politique industrielle, alors que nous avons besoin de champions européens ? «
Position clairement dominante sur le marché publicitaire
Pourtant, dans le dossier TF1/M6, l’Autorité ne manquait pas d’arguments. Concentrant plus de 70% de la publicité télévisée en France, un marché qui ne décroît pas, contrairement au sentiment général, la nouvelle entité aurait eu à l’évidence une position dominante.
Une position que la montée en puissance de Netflix ne contestera qu’à la marge car les grands annonceurs resteront fidèles à l’audience de millions de téléspectateurs réunis ensemble, à un même moment, devant leurs écrans. La consommation délinéarisée de programmes télé est évidemment en forte croissance, mais il s’agit, de l’avis des publicitaires, d’un autre marché.
Face à cette réalité, l’Autorité devait-elle prendre un autre avis, au prétexte que son interdiction fragiliserait tout un secteur ? C’est le consensus des industriels, qui trouvent les entités en charge de la concurrence prennent trop en compte le point de vue des consommateurs et pas assez celui des producteurs.
Ces exemples qui pourraient bien inspirer TF1 et M6
Et pourtant, à regarder ce qu’il est advenu des « proscrits » de la DG Comp, celle qui s’occupe de la concurrence à Bruxelles, ils s’en sont plutôt bien sortis : Alstom a finalement fusionné avec Bombardier plutôt qu’avec Siemens, et son carnet de commandes dépasse cinq années de production ; Legrand, interdit de rapprochement avec Schneider, est devenu dans la foulée l’entreprise la plus performante du CAC 40, selon le palmarès des patrons performants de Challenges ; quant à Schneider, sa réussite est telle que le groupe s’est transformé en une pépinière de grands dirigeants où l’Etat est allé puiser les patrons d’Orange et, peut-être, d’EDF…
Enfin, il reste toujours le « pouvoir d’évocation » du ministre de l’Économie : Bruno Le Maire peut en effet de ne pas suivre les avis de l’Autorité de la concurrence, pour des raisons d’intérêt général touchant « notamment la concurrence des entreprises au regard de la compétitivité internationale ou le maintien de l’emploi ». Il l’avait fait en 2018 pour William Saurin, forcé de se séparer d’une usine. Visiblement le ministre n’y était pas prêt pour TF1/M6, et après tout, n’est-il pas, lui, le premier responsable de la politique industrielle ?