Il y a peu de temps, j’ai rencontré une femme juive âgée de 90 ans, survivante de l’Holocauste en Ukraine. La ville de Berdytchiv, où elle est née et où elle vit encore aujourd’hui, a été frappée il y a quelques mois par des missiles russes, causant victimes et destructions.
C’est dans cette ville qu’est né Vassili Grossman, écrivain et auteur du célèbre article « L’Ukraine sans les juifs ». Sergei Loznitsa cite cette formule dans son film documentaire Babi Yar. Contexte. Dans un entretien récent au Monde, il parle en termes désobligeants des chercheurs ukrainiens sur l’Holocauste, affirmant que « les historiens ukrainiens n’ont tout simplement pas fait leur travail durant trente ans ».
Heureusement, l’affirmation de Grossman n’est pas totalement juste. Même après l’Holocauste, des juifs sont restés en Ukraine et nous pouvons encore aujourd’hui y rencontrer les derniers survivants de la Shoah. Heureusement aussi, les propos de Loznitsa sont erronés. En Ukraine, il y a des gens qui documentent, mènent des recherches et font connaître l’inconfortable vérité sur ces événements.
Les études sur l’Holocauste ont commencé à se développer en Ukraine après l’indépendance, en 1991, dans des conditions extrêmement difficiles, sous la pression de récits conflictuels. Celui de l’héritage soviétique tout d’abord, qui n’accordait aucune place à la tragédie juive en tant que telle, mais seulement aux souffrances communes du « peuple soviétique ». Ensuite, celui lié à l’influence russe, et son obsession maladive pour l’histoire militaire, sa marginalisation de l’Holocauste et des souffrances de la population civile en général. Enfin, celui d’une frange de la droite, méfiante à l’égard de tout ce qui ne correspond pas aux canons de l’histoire nationale ukrainienne, comme lutte permanente pour obtenir son propre Etat.
L’histoire de l’Holocauste et de ses nombreuses « zones grises » dérange les tenants de ces récits. C’est pourquoi s’y consacrer en Ukraine demande un certain courage académique. Je ne mentionnerai pas ici ma modeste contribution sur le sujet, mais on ne peut pas parler de l’histoire de l’Holocauste en Ukraine sans citer les recherches de mes collègues Yuri Radchenko, Oleksandr Zaitsev, Marta Havrychko, Petro Dolganov, Yurii Kaparulin. De manière remarquable, ils abordent les questions les plus controversées, comme le rôle de l’antisémitisme dans l’idéologie nationaliste ukrainienne, celui des nationalistes ukrainiens et des collaborateurs locaux dans l’Holocauste, les violences sexuelles et les pillages des biens juifs par les populations locales non juives, ainsi que d’autres crimes nazis, comme par exemple le génocide des Roms.
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