in

« Le Maghreb est travaillé par de nouvelles offres religieuses »

« Le Maghreb est travaillé par de nouvelles offres religieuses »


Karima Dirèche est historienne, directrice de recherche au CNRS, affiliée à l’unité mixte de recherches Telemme (Temps, espaces, langages, Europe méridionale, Méditerranée) de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme d’Aix-en-Provence. Directrice, entre 2013 et 2017, de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), à Tunis, elle a dirigé l’ouvrage collectif L’Algérie au présent. Entre résistances et changements (IRMC-Karthala, 2019). Entre autres axes de recherche, elle a enquêté sur le phénomène des conversions néo-évangéliques en Algérie.

« La Montagne aux étoiles I », de Rachid Koraïchi, peinture acrylique sur toile (140 x 140 cm), 2021.

L’islam politique de type Frères musulmans, qui avait été porté par la vague des « printemps arabes », a essuyé une série de déconvenues en 2021 au Maghreb. Au Maroc, le Parti de la justice et du développement (PJD) a subi un cinglant revers électoral. En Tunisie, Ennahda, devenu impopulaire, a été délogé du pouvoir par un coup de force du président Kaïs Saïd. Le Maghreb est-il entré dans l’ère du « post-islamisme » ?

Il y a, en effet, une érosion des partis islamistes de type Frères musulmans en Afrique du Nord. Dans le même temps, on assiste à un retour très fort de la religiosité et de l’islamo-conservatisme, mais sur un mode apolitique. Ces nouvelles expressions de la religiosité sont influencées par ce que qu’on appelle la dawla salafiya, c’est-à-dire l’école du salafisme quiétiste. Et elles sont confortées et alimentées par les régimes qui en font une arme de neutralisation des tenants de l’islam politique, susceptible de les concurrencer, et surtout qui relaient un islam d’Etat imposé dans les années 1980. Cet islam officiel visait, à l’époque, à la fois à réprimer les épicentres de la contestation étudiante et syndicale, et à contrôler au plus près l’activisme des mouvements islamistes. Dans ces trois pays du Maghreb, l’Etat s’était emparé du religieux, d’abord pour court-circuiter le mécontentement et l’exaspération des sociétés et, ensuite, pour neutraliser les oppositions de gauche et d’extrême gauche.

Comment expliquer l’érosion de ces partis islamistes qui avaient tant bénéficié des « printemps arabes » ? Est-ce le prix à payer pour les compromissions dans l’exercice du pouvoir ?

Ces partis islamistes disposaient d’un soutien populaire incontestable et constituaient la première force politique oppositionnelle. Mais il est vrai qu’ils ont ensuite souffert du processus de normalisation par leur intégration dans l’appareil d’Etat. Les configurations nationales sont différentes. Le PJD marocain, avant d’accéder à la tête du gouvernement en 2011 dans la foulée d’élections législatives, était un parti islamiste d’opposition, mais il s’agissait d’un islamisme « light », décaféiné, enclin à une négociation permanente avec le Palais. En Tunisie, Ennahda est, lui aussi, arrivé au pouvoir, en 2011, par la voie électorale, fort d’une aura extraordinaire, de l’image de « martyr » de la répression sous [Habib] Bourguiba [président de la République de 1957 à 1987], puis sous [Zine El-Abidine] Ben Ali [président de 1987 jusqu’à sa chute, en 2011]. Il était censé nettoyer, moraliser la vie publique. Mais son passage au pouvoir s’est révélé désastreux, car il était inapte à diriger le pays. Quant à l’Algérie, l’opposition islamiste au régime a été en partie discréditée par la guerre épouvantable de la « décennie noire » [les années 1990]. Son basculement dans la violence a refroidi une partie de son électorat historique. Et, ensuite, une frange de ces partis islamistes a été récupérée par le régime d’Abdelaziz Bouteflika [1999-2019] et, là aussi, ils se sont déconsidérés par leur appartenance au pouvoir. Dans les trois sociétés, la déception à l’égard de cet islam politique a ouvert la voie au salafisme quiétiste, apolitique, cultivant le consensus social, loyaliste et révérencieux à l’égard de l’Etat.

Il vous reste 62.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Entre le Maroc et la France, le grand désamour

Entre le Maroc et la France, le grand désamour

Abus physiques et psychologiques par un entraîneur: Basketball Québec était au courant

Abus physiques et psychologiques par un entraîneur: Basketball Québec était au courant