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la « révolution du jasmin », une triste fable

la « révolution du jasmin », une triste fable


Manifestation contre la mainmise du pouvoir par Kaïs Saïed, à Tunis, le 10 octobre 2021.

« Un printemps sans le peuple. Une histoire arabe usurpée », de Saber Mansouri, Passés composés, 224 p., 20 €, numérique 15 €.

Le procès est dans l’air du temps. Et si la vague des « printemps ­arabes » de 2011, au premier rang de laquelle figure la « révolution du jasmin », en Tunisie, n’avait été qu’une gigantesque mascarade ? Une escroquerie, une imposture ? La petite musique était ­jusque-là susurrée par les nostalgiques de l’ordre pré-2011, redevenus bruyants en ces temps de restaurations autocratiques. Sous la plume de Saber Mansouri, historien épris de Grèce et essayiste attentif aux convulsions identitaires françaises, l’exercice est d’une autre tenue.

L’inventaire critique du chantier démocratique tunisien qu’il dresse dans Un printemps sans le peuple se nourrit d’une connaissance intime et subtile de l’histoire et de l’actualité du pays dont il est natif. Et, au-delà, il ­l’enrichit d’une réflexion décapante sur les ruses du langage, le pouvoir des mots, ceux dont ­l’Occident use pour nommer le monde et imposer ainsi son imaginaire – et ses intérêts – à des pays du Sud dépossédés de leurs propres récits.

La thèse de Saber Mansouri est que la « révolution du jasmin » en Tunisie a accouché d’un « monstre » : « une démocratie sans le peuple » et même « contre le peuple ». Un peuple ignoré, maltraité, s’enfonçant dans la ­détresse sociale, à mille lieues du « spectacle » des « réjouissances » printanières, auquel nul ne l’a convié. Ni les élites postrévolution, islamistes ou laïques, fossoyeuses des idéaux les ayant portées au pouvoir, ni même l’Occident qui acclame dans les arènes l’« exception miraculeuse » de la Tunisie n’ont eu l’air de se soucier du gouffre entre « la fable » et le réel.

Le grand malentendu

Car le drame du « printemps » est sémantique : il ne s’agirait que d’une « tragi-comédie portée par les mots du Nord ». Régime parlementaire, société civile, islam politique ou réformes structurelles : autant de termes et de concepts venus d’ailleurs, étrangers à l’expérience concrète des gens et ­avivant la douleur d’une dépossession. Le grand malentendu n’est d’ailleurs pas nouveau, souligne Mansouri. Le réformisme de la nahda (« renaissance ») au XIXe siècle, censé sauver le monde musulman du déclin, ­empruntait déjà ses mots et ses idées à l’Occident impérialiste. Ironie amère, même le panislamisme ou le panarabisme furent forgés en Europe. A un siècle et demi de distance, l’élite réformatrice arabe, égarée par la haine de soi, répète le même échec : « Avoir réalisé une révolution et une renaissance sans les avoir nommées, pensées, conceptualisées, avec ses propres mots dans la ­langue arabe. »

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