Dans le jardin de l’Agence nationale de la météorologie du Burkina Faso, à Ouagadougou, de curieux instruments trônent au milieu d’un petit champ de haricots. Des pluviomètres sont plantés dans la terre aride à côté d’une antenne sur laquelle est fixé un thermomètre, ainsi qu’un anémomètre et une girouette pour mesurer la vitesse et la direction du vent. « Ces capteurs sont reliés à une plaque solaire et à une puce téléphonique qui nous envoie les données en temps réel avec la 3G », explique Ulrich Jacques Diasso, expert en météorologie et sciences du climat à l’agence.
Température, taux de précipitation et d’humidité, niveau de rayonnement, pression atmosphérique… Les informations collectées par la station météo permettent à ses équipes d’affiner leurs prévisions mais surtout de suivre au plus près l’impact du changement climatique dans ce pays semi-aride du Sahel. In fine, l’enjeu est de mieux prévoir les saisons des pluies et d’anticiper la multiplication des phénomènes extrêmes. Un travail qui s’inscrit dans le cadre d’une initiative baptisée « ClimSa » et financée par l’Union européenne.
Déployée dans les Caraïbes, la région pacifique et dix-sept pays d’Afrique de l’ouest et du Sahel, elle vise à renforcer l’information et la recherche climatiques. Le Burkina Faso a été désigné pays pilote de ce programme. Un choix logique compte tenu de l’importance de son réseau de stations météo : près de 300 réparties à travers tout le territoire, nettement plus que la plupart des pays voisins.
Car, à l’échelle de la région, les moyens d’observation manquent encore cruellement. Le réseau de stations météorologiques en Afrique est huit fois moins dense que le minimum préconisé par l’Organisation météorologique mondiale. De 1990 à 2019, l’Afrique n’a reçu que 3,8 % des financements mondiaux destinés à la recherche climatologique, selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
« Le changement climatique perturbe les saisons et le risque pour les paysans est de semer au mauvais moment. L’information météorologique est cruciale pour mieux anticiper les pluies et se préparer aux catastrophes à venir. Et pour avoir des données précises, il faut analyser les tendances au niveau régional », plaide Ulrich Jacques Diasso, également point focal du GIEC pour le Burkina Faso. L’expert regrette qu’en matière de lutte contre les sécheresses en Afrique de l’Ouest, l’accent soit essentiellement mis sur les mesures d’atténuation, telles que les actions de reboisement. Des programmes de longue haleine face une crise climatique dont l’urgence se fait déjà durement ressentir.
Au Sahel, les températures augmentent 1,5 fois plus vite que dans le reste du monde. Ainsi au Burkina, la hausse du mercure devrait atteindre 1,7 degré en 2050 (entre 0,9 à 1,7 degré prévu selon les zones), puis 2,6 degrés en 2080 (de 1,6 à 2,6 degrés), par rapport à la période 1971-2000. D’ores et déjà, la dégradation des terres met en péril les moyens de subsistance de millions d’habitants dans ce pays où près de 80 % de la population vit de l’agriculture. En plus de menacer les cultures et les pâturages, la sécheresse attise les conflits fonciers sur des terres en proie aux conflits intercommunautaires et aux violences djihadistes.
Il est midi. A la station météo de Ouagadougou, Adama Yoda, un technicien, récupère les données d’un petit appareil dirigé vers le soleil, pour ses relevés de la mi-journée. « C’est un photomètre qui mesure les rayons lumineux », indique-t-il, avant de sortir un thermomètre enfoui dans le sol : 31 degrés à un mètre sous terre, quatre de plus dans l’air. Les températures restent élevées en cette fin de mousson, à la mi-octobre.
Chaque année, les équipes de l’agence nationale de météorologie enregistrent de nouveaux records. « Jusqu’à 45 degrés au mois d’avril près de la capitale ! », pointe le technicien. En même temps, la pluviométrie diminue et les épisodes de précipitations sont de plus en plus intenses et tardifs. En août, de fortes pluies ont provoqué des dégâts importants à travers le pays.
Des alertes météo, des prévisions saisonnières et des bulletins d’agro-météo adaptés aux besoins des cultivateurs sont envoyés chaque jour aux radios locales
Dans la salle des prévisions de l’Agence nationale de la météorologie, les équipes se relaient 24 heures sur 24 pour surveiller les données des quelque 300 stations météo du pays et les images fournies par des satellites européens. Grâce à ces informations, les experts peuvent produire des alertes météo, des prévisions saisonnières et des bulletins d’agro-météo adaptés aux besoins des cultivateurs qui sont envoyés chaque jour aux radios locales. Comme La Voix du paysan, une station basée à Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso, qui diffuse matin et soir les éléments reçus dans une rubrique spéciale, dans huit langues nationales.
En plus des prévisions, les animateurs de cette radio communautaire indiquent aux cultivateurs quand semer, comment améliorer leurs rendements, trouver les meilleures zones de pâturages, gérer leurs ressources en eau ou encore restaurer les sols dégradés. « On est devenu un outil de référence pour les paysans car la radio est plus fiable et plus accessible qu’Internet. Grâce à nos conseils, leurs récoltes se sont améliorées et ils sont plus résilients face aux aléas », se réjouit Adama Sougouri, le directeur de la radio, qui compte environ 900 000 auditeurs quotidiens dans la région.
Formation à l’agrométéorologie
Dans trois communes pilotes du pays, une cinquantaine de cultivateurs ont également été dotés de smartphones pour envoyer leurs données pluviométriques, en les saisissant manuellement ou en prenant une photo, pour essayer d’améliorer le suivi quotidien et impliquer les communautés dans l’observation du climat. D’ici à 2025, l’Agence nationale de la météorologie devrait aussi être équipée de serveurs plus sophistiqués pour permettre aux spécialistes d’affiner leurs prévisions. Celles-ci manquent parfois de précision, notamment pour la surveillance de certains phénomènes tropicaux, tels que l’harmattan, un vent sec venant du Sahara, ou encore les orages à développement rapide.
« Il y a encore des marges d’erreur à cause de la mauvaise couverture du réseau d’observation dans la région et du manque de connaissance de la météo et du climat ouest-africain. Les modèles européens que nous utilisons sont plutôt adaptés aux latitudes tempérées », indique Ulrich Jacques Diasso.
Pour renforcer la coordination entre les pays, l’initiative ClimSa prévoit la tenue de forums annuels entre les experts du continent mais aussi des pays des Caraïbes et du Pacifique, les plus exposés au réchauffement. « Avant nous n’avions pas de plate-forme pour échanger nos expériences, cela devrait aider à renforcer la voix des pays sahéliens », ajoute le météorologue, qui plaide pour un appui à la recherche locale.
L’ensemble du programme est porté par le Centre régional Agrhymet, créé par l’Organisation météorologique mondiale et basé à Niamey (Niger), qui fait figure de centre de référence pour la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Pour éviter une fuite de cerveaux dans cette discipline faute de structures adaptées, Agrhymet espère former 35 techniciens supérieurs et ingénieurs en agrométéorologie.
La construction d’une expertise en météorologie dans la région se heurte encore à de nombreuses difficultés, du manque de stations d’observation au coût élevé du matériel et de la maintenance, en passant par les problèmes d’accès à Internet. Sans compter les violences terroristes qui ravagent le Sahel et entravent l’accès aux stations météo sur le terrain. Au Burkina Faso, où près de 40 % du territoire échappe au contrôle de l’Etat, les groupes djihadistes sabotent régulièrement les pylônes téléphoniques et ont déjà détruit certains équipements.