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Haya Yunis Martin n’a jamais oublié le choc ressenti en découvrant le lopin de terre attribué à sa famille à son arrivée, en 2016, à Rhino Camp, dans le nord-ouest de l’Ouganda. « C’était au milieu de nulle part et il y avait des herbes aussi hautes que nous ! On a dû tout couper avant de pouvoir monter notre tente et il nous a fallu plusieurs mois pour construire un abri décent », raconte cette Sud-Soudanaise de 30 ans originaire de la région frontalière de Yei. Six ans plus tard, trois cases en terre battue pour accueillir la grande famille de 22 personnes se dressent au même endroit. Des vêtements tout juste lavés sèchent sur les toits de chaume et des plants de légumes et de manioc poussent sur quelques mètres carrés de jardin.
Comme Haya Yunis Martin, environ 135 000 réfugiés, en grande majorité sud-soudanais, vivent à Rhino Camp, dans la région du Nil-Occidental. Ni barbelés ni clôture pour délimiter le site : les différents villages qui composent le settlement sont éparpillés sur des kilomètres. S’y mélangent populations hôtes et nouveaux arrivants.
Premier pays d’accueil du continent africain, avec plus de 1,5 million de personnes enregistrées auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’Ouganda est souvent présenté comme un modèle pour sa politique d’hospitalité. En plus du terrain accordé à chaque foyer à son arrivée, la loi sur les réfugiés, votée au Parlement en 2006, leur garantit la liberté de circuler sur tout le territoire, de travailler et d’accéder aux services de santé et d’éducation. L’objectif affiché est qu’ils deviennent autonomes après cinq ans passés dans le pays.
La loi sur les réfugiés leur garantit la liberté de circuler, de travailler et d’accéder aux services de santé et d’éducation
« L’Ouganda fait la promotion de l’autosuffisance depuis une vingtaine d’années, mais le fardeau repose en grande partie sur les réfugiés », explique Achieng Akena, directrice de l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (IRRI). Depuis son arrivée, Haya Yunis Martin a trouvé quelques missions, de traduction notamment, auprès de certaines ONG, mais toujours à court terme. « Il n’y a pas de travail dans le camp, on ne survit que grâce à l’aide alimentaire, regrette-t-elle. Les terres sont trop petites et le sol rocailleux ne nous permet pas de cultiver assez. Le peu qu’on fait pousser, on s’en sert juste pour compléter nos rations, pas pour le vendre. »
« Il y a beaucoup de préjugés »
Beaucoup de réfugiés décident donc de quitter les zones qui leur sont réservées pour tenter leur chance dans les villes alentour, comme Arua, principale agglomération du Nil-Occidental, à 60 km à l’ouest de Rhino Camp. C’est le cas de Jacob Liwa : un an après être arrivé en Ouganda, le Sud-Soudanais s’est installé en 2017 en périphérie de la ville avec la famille de son frère. « J’ai la chance d’être venu dans le pays avec ma moto », explique-t-il. Mais son projet de faire le taxi pour les résidents du camp était voué à l’échec : « Là-bas, personne n’a d’argent ou même d’endroit où aller. Je n’avais presque pas de clients. »
A Arua, l’homme de 29 ans réussit à gagner juste assez pour son loyer et pour aider son frère à payer les frais de scolarité de ses enfants. Mais cinq ans après son installation en ville, la famille continue de dépendre des rations de nourriture distribuées une fois par mois dans son camp d’enregistrement. « L’intégration est bien différente entre la théorie et la réalité, et elle n’est en fait conçue que dans les endroits prévus à cet effet, analyse Achieng Akena. Dans les zones urbaines, on demande aux réfugiés de devenir autosuffisants presque sans aucun soutien et dans un contexte qui ne les favorise pas. »
En dehors des camps, les réfugiés sont en effet peu pris en compte dans les politiques urbaines, ni comptabilisés, mais la municipalité d’Arua estime qu’ils représentent près d’un quart de la population de la ville. « Sans budget du gouvernement central, certains services ne sont pas adaptés, ce qui mène à une saturation des écoles publiques et de l’hôpital régional, ou encore à des pénuries de médicaments », observe le maire, Sam Wadri Nyakua.
De leur côté, les réfugiés affirment être discriminés dans l’accès à certains services ou à un emploi. Avec sa moto-taxi, Jacob Liwa véhicule essentiellement des Sud-Soudanais. « C’est très difficile pour nous de trouver un travail ici, il y a beaucoup de préjugés, déplore-t-il. Par exemple, les Ougandais disent que nous sommes agressifs. Et on nous demande souvent de payer plus, comme pour les frais scolaires. »
« Je n’ai qu’un matelas posé au sol »
« Il y a un manque de compréhension du statut de réfugié, confirme Achieng Akena. Et certaines écoles vont demander des frais plus élevés, alors que les enfants réfugiés doivent selon la loi recevoir le même traitement qu’un citoyen ougandais dans l’accès au primaire. C’est pareil pour les organisations de réfugiés, considérées comme étrangères et donc soumises à des taxes très importantes. »
Chez Haya Yunis Martin, désormais, les rations mensuelles ne permettent de tenir que trois semaines
La dépendance à l’aide humanitaire rend les réfugiés très vulnérables au moindre changement : depuis avril 2020, la baisse des financements liée à la pandémie de Covid-19 a contraint le Programme alimentaire mondial (PAM) à réduire de 30 % les rations distribuées tous les mois. « On observe beaucoup de mécanismes négatifs d’adaptation, comme la réduction du nombre de repas par jour, une augmentation du travail des enfants pour gagner un peu d’argent ou des retours au Soudan du Sud dans un contexte toujours dangereux », détaille Cissy Atim, basée à Rhino Camp pour l’ONG Andre Foods International, partenaire local du PAM dans la distribution de l’aide alimentaire.
Chez Haya Yunis Martin, désormais, les rations mensuelles ne permettent de tenir que trois semaines. Dans son jardin, elle dépend plus que jamais des quelques cultures qu’elle arrive à faire pousser. « J’ai perdu du poids depuis que je suis ici. Au Soudan du Sud, je dormais dans un grand lit et une belle maison. Maintenant, je n’ai qu’un matelas posé au sol », se plaint-elle avant de nuancer : « Au moins je vis en paix, sans entendre de coups de feu près de chez moi. »
Sommaire de la série « L’Afrique des diasporas »
Ils sont Congolais à Abidjan, Somaliens à Nairobi, Sénégalais à Casablanca… Contrairement aux idées reçues d’une ruée africaine vers l’Europe, la très grande majorité des migrants africains restent sur le continent. Partis à la recherche d’une vie meilleure, poussés sur les routes par les conflits ou le manque de perspectives, ils s’installent dans les pays voisins ou les carrefours économiques régionaux que sont l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire ou le Kenya. Dans une série de reportages, Le Monde Afrique vous propose de découvrir quelques-uns des visages de ces migrations intra-africaines.