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deux ans après la loi sur le cannabis, les cultivateurs du Rif toujours « dans le brouillard »

deux ans après la loi sur le cannabis, les cultivateurs du Rif toujours « dans le brouillard »



En septembre 2022, un cultivateur présentait fièrement ses feuilles de cannabis à Azila, au Maroc. L’année 2023 pourrait être celle de sa première récolte légale de cannabis. Après des années dans la semi-clandestinité, Aziz, un cultivateur du Rif, région montagneuse du nord du Maroc qui abrite l’une des plus grandes productions de la planète, a décidé de se ranger « du côté de la loi » et de vendre son « kif » aux industriels lancés dans la fabrication de produits issus du cannabis. Il entend ainsi tourner le dos aux narcotrafiquants.

Dans un hameau près de Talambote, à une vingtaine de kilomètres de Chefchaouen, les parcelles d’Aziz sont situées au bout d’une piste sinueuse bordée de conifères. À 38 ans, il vient de semer les graines pour la récolte de l’été. Il a créé sa coopérative il y a quelques mois, comme l’exige la loi adoptée par le Maroc en 2021, qui autorise la culture de cannabis à des fins médicales et industrielles tout en maintenant prohibé son usage récréatif. Il a demandé une licence à l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (Anrac). Il lui reste à trouver une entreprise prête à lui acheter sa récolte. « Deux Américains sont venus dans le village il y a quelques jours, raconte-t-il. Ils veulent construire une usine dans la région et auront besoin de grandes quantités. Ils sont intéressés par nos plantes. Nous n’avons pas encore parlé du prix. »

Cependant, dans la région, les effets de la nouvelle législation, qui vise à « reconvertir les cultures illicites destructrices de l’environnement en activités légales durables et génératrices de valeur et d’emplois », semblent pour l’heure semer plus de doutes que d’enthousiasme. Farid, la cinquantaine, qui cultive le « kif » dans un village voisin, craint que les bénéfices aillent à l’Etat, aux labos, aux multinationales, et que les cultivateurs soient les laissés-pour-compte. En effet, difficile de savoir à qui et à quel prix vendre, quelles semences utiliser ou si elles seront adaptées ? « On n’a rien d’autre que le kif. On ne va pas prendre le risque de tout perdre », souligne-t-il.

Cela étant dit, la nouvelle législation est porteuse d’espoir. Elle apparaît comme une issue pour le Rif, région pauvre et marginalisée, où cette culture est à la fois interdite et tolérée par les autorités pour maintenir une certaine forme de paix sociale. Et où la manne financière générée par le trafic ne profite guère aux quelque 400 000 personnes (selon une estimation officielle) qui en dépendent. Seulement 4 % du chiffre d’affaires du marché illégal reviendrait aux cultivateurs, selon le ministère de l’Intérieur. « Le circuit légal va leur garantir des revenus quatre à cinq fois supérieurs à ce qu’ils gagnaient dans l’illicite », assure Mohammed El Guerrouj, le directeur de l’Anrac. A travers leurs coopératives, ce sont eux qui vont négocier les prix. Ils auront un revenu fixe, ce qui va leur donner de la visibilité pour investir et améliorer leur mode de vie.

Cependant, il y a des résistances chez les cultivateurs. « On parle de cultivateurs qui maîtrisent parfaitement les codes de l’illégalité mais pas ceux de la légalité. Et qui fuient tout ce qui représente l’Etat à cause de la répression et de l’abandon dont ils sont victimes depuis longtemps », explique l’anthropologue Khalid Mouna. Une autre incertitude plane quant aux débouchés de ce nouveau marché légal de cannabis. Sera-t-il orienté uniquement vers l’usage médical ? Ou couvrira-t-il une gamme plus large de produits, des cosmétiques à l’alimentation jusqu’aux matériaux de construction ? Les retombées sur les cultivateurs vont dépendre de la taille de ce marché en devenir, mais aussi de leur capacité à s’insérer dans la chaîne de production, y compris la transformation.

Khalid Tinasti, enseignant-chercheur à Genève et spécialiste de la politique des drogues, voit plutôt la coexistence de deux marchés, « comme dans tous les pays qui ont légalisé le cannabis et n’ont jamais éradiqué le marché illégal ». Toutefois, il est évident que la demande de cannabis récréatif ne va pas disparaître, précise-t-il, et le marché illicite restera très puissant. Seule une poignée de cultivateurs intégreront le circuit légal, à moins que l’usage récréatif du cannabis ne soit autorisé.

En somme, la nouvelle législation est un premier pas vers la légalisation, mais il faudra sûrement attendre plus longtemps pour voir ses effets concrets.

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