Au printemps 1962, le chef de l’Etat, Charles de Gaulle, en est convaincu : « Dès que la paix [en Algérie] sera conclue, ils essaieront de me faire la peau. Alors j’attaquerai. » Ce « ils » cinglant désigne les responsables de tout bord qui, bon gré mal gré, l’ont appelé à la rescousse en mai 1958 quand la République menaçait de s’effondrer.
L’épreuve algérienne désormais surmontée, les mêmes comptent bien, d’une manière ou d’une autre, refermer la parenthèse gaulliste. Dès la fin avril, la fronde s’organise : ils ne sont que 259 députés, contre 247, à accorder leur confiance à Georges Pompidou, le premier ministre nommé par de Gaulle pour remplacer Michel Debré.
Mais le pressentiment présidentiel prend une tournure dramatique le 22 août : au carrefour du Petit-Clamart, près de Paris, la DS noire qui ramène le président et son épouse à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne) est prise sous le feu d’une dizaine de tireurs de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), les desperados de l’Algérie française. Miraculeusement, le Général sort indemne de l’attentat.
Cette fois, pour lui, le moment est venu d’en « découdre ». Le 20 septembre, lors d’une allocution radiotélévisée, il déclenche l’offensive : « La clé de voûte de notre régime, c’est l’institution d’un président de la République désigné par la raison et le sentiment des Français. Pour qu’il puisse porter une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la nation. Je crois donc devoir faire au pays la proposition que voici : quand sera achevé mon propre mandat, le président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel. » Par quelle voie convient-il que le peuple approuve ou rejette cette réforme décisive ? « Je réponds : par la plus démocratique, la voie du référendum. »
Double transgression
La transgression est double. Sur le fond, d’abord. Quatre ans plus tôt, il avait jugé une telle initiative prématurée. Pour ne pas effaroucher les partis traditionnels, la Constitution de 1958 avait prévu l’élection du président par un collège de quelque 80 000 élus – parlementaires, conseillers généraux et représentants des conseils municipaux. C’est ainsi que, dernier président du Conseil de la IVe République, de Gaulle était devenu, en décembre 1958, le premier président de la Ve. En donnant à l’ensemble des Français le pouvoir d’élire le chef de l’Etat, il entend consacrer sa légitimité politique – désormais sans égale – et pérenniser sa prééminence institutionnelle.
Sur la méthode ensuite. Selon l’article 89 de la Loi fondamentale, une révision de la Constitution suppose l’accord préalable de l’Assemblée nationale et du Sénat. Or, les gaullistes ne sont majoritaires ni dans l’une, ni dans l’autre. De Gaulle décide donc de contourner le Parlement en utilisant l’article 11. Celui-ci stipule que peut être soumis au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ce qui, assure-t-il, « englobe évidemment le mode d’élection du président ». C’est jouer sur les mots et mettre un peu plus le feu aux poudres.
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