De plus en plus de manuscrits de romans en France passent entre les mains de « sensitivity readers », des lecteurs « sensibles » qui chassent les stéréotypes racistes, homophobes ou sexistes des œuvres à paraître, à la demande de leurs auteurs. « C’est quelqu’un de concerné, faisant partie de la communauté en question, qui saura si les propos tenus sont choquants ou blessants », explique Elodie, qui pratique ce type de relecture occasionnellement, sur les sujets de l’homophobie et du racisme.
Albine, bibliothécaire originaire du Cameroun, exerce, elle aussi cette activité de temps à autres. En tant que personne racisée, elle apporte son regard extérieur sur la façon dont sont représentés les personnages noirs dans les romans qu’elle corrige. « Par exemple, dans la description des couleurs de peaux, les auteurs parlent parfois de peau couleur café, mais on va préférer le terme de peau noire ou peau brune, parce que ce sont les termes que les personnes racisées utilisent. »
« On ne censure pas »
Par sa propre expérience d’autrice, Elodie a elle-même fait face à cette situation. « J’ai écrit une fois un livre avec un personnage indien et certaines choses étaient fausses », confie-t-elle. « C’est une lectrice, elle-même Indienne, qui me l’a fait remarquer. On ne peut pas écrire sur tout sans se renseigner. »
Tous les « lecteurs sensibles » le rappellent, il n’est pas question de censurer l’auteur. Il s’agit simplement de conseils et de recommandations adressés à l’écrivain. « Ils ne sont pas obligés d’en tenir compte », assure Albine. « On leur donne notre avis, mais ils font ce qu’ils veulent. Nous avons vraiment un rôle de consultant. »
Une pratique encore marginale
Certaines maisons d’édition ont déjà pris le pas. C’est le cas de la maison d’édition parisienne Scrieno qui fait systématiquement appel à des relecteurs sensibles pour ses œuvres. Pour son fondateur et directeur, Jean-Paul Arif, avoir recours à ces relecteurs est logique dans le processus créatif. « C’est comme quand on fait appel à un commissaire de police pour nous aider à écrire le scenario d’un polar », raconte-t-il. « Ça ne pose pas de problèmes d’avoir un référent lorsqu’on est sur des sujets sociétaux. C’est la même démarche. »
Pour l’heure, la pratique reste assez marginale. Les « sensitivity readers » ne sont pas encore des professions institutionalisées au sein des maisons d’édition. Ils proposent plutôt leurs services via le bouche-à-oreille. Mais selon Jean-Paul Arif, cela pourrait bientôt se démocratiser, d’autant plus que « le coût reste moindre pour les éditeurs », précise-t-il.