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Kenenisa Bekele, l’empereur « oublié » d’Ethiopie

Kenenisa Bekele, l’empereur « oublié » d’Ethiopie


Kenenisa Bekele, au marathon de Berlin, le 29 Septembre 2019.

Une fois de plus, Eliud Kipchoge a bluffé tout le monde. Dimanche 25 septembre, le Kényan a bouclé le marathon de Berlin en 2 heures 1 minute et 9 secondes, battant de 30 secondes son propre record du monde, établi en 2018, déjà en Allemagne. Une fois de plus, les superlatifs ne manquaient pas pour saluer sa performance exceptionnelle.

Dimanche 2 octobre, le coureur de 37 ans ne risque pas d’éclipser à nouveau la concurrence puisqu’il a décidé de ne pas prendre le départ du marathon de Londres. En son absence, Kenenisa Bekele, 40 ans, peut espérer attirer toute la lumière.

Si Eliud Kipchoge est impérial sur la discipline reine et ses 42,195 kilomètres, certains puristes de la course de fond considèrent que son rival éthiopien est, sur l’ensemble de sa carrière, plus impressionnant. « On ne peut pas comparer Kenenisa avec qui que ce soit dans le passé, le présent et probablement le futur », affirmait au site américain LetsRun, en 2016, Renato Canova, entraîneur ayant collaboré avec ces deux cracks. Avant de l’affronter aux championnats du monde en 2011, le Britannique Mo Farah admettait qu’il était « juste d’un autre calibre ». Jean-François Pontier, coach spécialiste du marathon, est plus nuancé : « Son palmarès sur piste et cross est incomparable, mais aucun autre athlète n’a jamais réalisé les performances de Kipchoge en marathon. »

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S’il y a débat, c’est bien parce que Kenenisa Bekele a écrasé la concurrence dans les années 2000. Une vue – même partielle – de son palmarès permet de mesurer sa domination d’alors : quatre titres de champion du monde sur 10 000 m à la suite (dont un doublé avec le 5 000 m en 2009, une première), trois médailles d’or olympiques (avec un nouveau doublé en 2008), cinq doublés cross court (4 kilomètres) – cross long (12 kilomètres) aux championnats du monde de 2002 à 2006. Cette même année, il devient le premier athlète à être champion du monde sur piste, en cross et en salle.

Son passage de la piste au bitume ? L’Ethiopien s’impose dès son premier marathon, à Paris, en 2014, signant même le nouveau record de l’épreuve parisienne, en 2 heures 5 minutes et 2 secondes – battu depuis par le Kényan Elisha Rotich en 2021 (2 heures 4 minutes et 21 secondes). Bekele remporte aussi plusieurs victoires de prestige à Berlin, en 2016 et en 2019.

Kenenisa Bekele lors de son premier marathon, celui de Paris en 2014, qu’il a remporté en 2 heures 5 minutes et 4 secondes.

Pourtant, ce palmarès interminable cache un parcours semé d’embûches. En janvier 2005, alors qu’il effectue un footing dans une zone boisée à Ararat, près d’Addis-Abeba, avec sa fiancée Alem Techale, elle-même coureuse de haut niveau, celle-ci se plaint d’une douleur à la poitrine et s’effondre. Ce qui ne devait être qu’un banal entraînement sur les pentes ardues qu’ils connaissent par cœur se transforme en drame : la jeune femme décède dans ses bras sur le chemin de l’hôpital, à quelques semaines de leur mariage.

« Courir est devenu ma seule raison de vivre »

Bekele se réfugie alors dans la course. A peine deux mois plus tard, en mars 2005, il est déjà de retour, réalisant un nouveau doublé aux Championnats du monde de cross-country sous le soleil de Saint-Galmier (Loire). Si le résultat est presque habituel, sa célébration, elle, l’est moins : le timide et discret Kenenisa, jusqu’alors peu expressif, envoie des baisers au public dans les derniers mètres de la course, avant de franchir la ligne seul, les bras vers le ciel, rattrapé par l’émotion. « Courir est devenu ma seule raison de vivre, confiera-t-il après son succès. Je sais qu’Alem l’aurait voulu ainsi. »

Né en 1982 à Bekoji (Ethiopie), deuxième d’une fratrie de six enfants, Bekele se construit dans l’ombre de son prédécesseur et mentor Haile Gebreselassie. En retrait médiatiquement, il a longtemps considéré que ses performances se suffisent à elles-mêmes. Mais peu à peu, c’est bel et bien Kipchoge, son rival kényan, qui attire les projecteurs, accompagné par les sponsors et suivi aujourd’hui par 1,9 million de personnes sur Instagram, quand lui ne compte que 188 000 abonnés sur le même réseau social.

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Différents dans leur manière de courir, les deux hommes le sont aussi dans la gestion de leur carrière. En témoigne l’arrivée tardive de Bekele chez Nike, alors que son rival kényan a bénéficié des fameuses chaussures carbone de la marque dès leur sortie, en 2016. L’Ethiopien décide aussi tardivement d’intégrer la NN Running Team, équipe de course à pied professionnelle fondée par son agent Jos Hermens, qui accompagne les meilleurs athlètes. Une structure dont Kipchoge faisait déjà partie, pendant que Bekele s’entraînait en solitaire avec son frère Tariku sur les plateaux de la vallée du Rift.

« Une orientation de carrière différente »

Handicapé par des blessures récurrentes et ses difficultés à garder un poids stable, Bekele quitte, en mai 2019, son Ethiopie natale pour s’entraîner pendant huit semaines à Nimègue (Pays-Bas), où est installée la NN Running Team. Là-bas, il suit un programme nutritionnel sur mesure et fait des exercices spécifiques que le kinésithérapeute Peter Eemers a appelés « warm up for the GOAT » (« échauffement pour le meilleur de tous les temps »). « Cela s’est passé encore mieux que prévu et cela reflète son talent mais aussi sa force mentale », confiait alors Jos Hermens à L’Equipe.

En septembre 2019, Bekele remporte le marathon de Berlin en 2 heures 1 minute et 41 secondes (troisième meilleure performance de tous les temps), avant de confirmer sur le semi-marathon de Londres, qu’il boucle en 1 heure et 22 secondes. Des progrès et une renaissance rares pour un athlète aujourd’hui âgé de 40 ans. « Il a des qualités physiques exceptionnelles, peut-être même plus encore que Kipchoge. Ils ont juste eu une orientation de carrière différente », estime, en spécialiste, Jean-François Pontier.

Il faut dire qu’au-delà de la course, l’Ethiopien a une vie bien remplie. Marié en 2007 à l’actrice Danawit Gebregziabher, avec qui il a eu trois enfants, il veut être « le meilleur père de famille possible », explique son agent sur le site de la NN Running Team. Quitte à sacrifier sa préparation. Egalement homme d’affaires et investisseur, Bekele a notamment fait construire un hôtel à son nom à Addis-Abeba, ville où il réside. Mais ce dimanche, c’est bien dans les rues de Londres, où il ne s’est encore jamais imposé, qu’il tentera d’écrire un nouveau chapitre de sa légende.

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