La fin des noces est un vrai coup dur pour Nicolas de Tavernost, président et indécrottable moine-soldat du groupe M6, qui a défendu bec et ongles, dix-huit mois durant, le projet de son actionnaire Bertelsmann (à 48% via RTL Group). Et un vrai revers stratégique pour Thomas Rabe, PDG du géant allemand, qui se posait en artisan d’une indispensable consolidation européenne face aux géants américains. « Lui qui rêvait de faire de ce mariage une jurisprudence pour lancer le grand Monopoly européen, un jeu dont il serait sorti le grand gagnant, est très fragilisé », analyse un gros acteur du PAF. Aux Pays Bas, en Belgique et même en Allemagne, Thomas Rabe nourrit en effet les mêmes desseins de mariage entre ténors.
Peu de portes de sortie
En France, le géant allemand a pour l’heure peu de portes de sortie. Peu de temps aussi: le renouvellement de la fréquence de M6 doit intervenir au printemps. Une fois autorisée, comme l’exige la loi, elle ne pourra être revendue durant cinq ans. De quoi réduire de facto la fenêtre de tir, vu la longueur des procédures, à quelques semaines. Pas le contexte idéal pour dénicher un partenaire aussi généreux ou conciliant que Bouygues (641 millions d’euros pour 30% du groupe), ou espérer faire monter les enchères. Bertelsmann a un temps valorisé le groupe trois milliards d’euros. Mais, malgré les bonnes performances de l’entreprise, l’animal M6 a quelque peu perdu de sa superbe. Minée par la décote sur tout le secteur de la bonne vieille télé de papa, son action a fondu de plus de 35% en cinq ans – peu ou prou la date à laquelle les plateformes américaines ont accéléré leur raid sur le continent. Ce 19 septembre, première séance boursière après la rupture des fiançailles, elle perdait encore du terrain.
Prix de vente à la baisse
« Les pourparlers, si pourparlers il y a, ne se feront pas aux prix délirants des débuts », se réjouit un candidat malheureux au premier tour. La fréquence télé reste une denrée rare. Malgré le timing serré, les prétendants pourraient encore être nombreux au rachat de tout ou partie de M6. Ainsi Altice Média, dont le projet de reprise de TFX et de 6ter, mises en vente par les ex-fiancés, a été stoppé net par le véto de l’Autorité de la concurrence (ADLC). Le groupe de Patrick Drahi avait décroché le feu vert des autorités et peaufinait déjà ses grilles pour les deux chaînes, en vue d’un démarrage dès février 2023. Sondés pour des contenus centrés autour de la famille et de la femme, des producteurs étaient même déjà dans les starting-blocks. Un proche le souligne: « Altice est toujours en quête d’opportunités sur le marché. »
Nouveaux et anciens candidats
Xavier Niel, patron d’Iliad n’a eu de cesse de torpiller publiquement ce projet de fusion (crédit: CHARLES PLATIAU).
L’industriel Rodolphe Saadé (CMA-CGM), qui vient de racheter La Provence, un nouveau venu aux poches pleines dans les médias, pourrait aussi se laisser tenter. Sans oublier les déçus du premier round: Daniel Kretinsky, parmi les mieux-disant, dont la discrétion durant ces dix-mois mois pourrait in fine le servir. L’homme d’affaires tchèque n’a jamais été entendu sur le dossier, ni devant le Sénat, ni devant l’ADLC, ni même dans les médias. Tout le contraire de Xavier Niel qui n’a eu cesse de torpiller publiquement l’affaire, justement dans l’idée de provoquer un deuxième tour.
Ou encore de Canal+, propriété de Vincent Bolloré (Vivendi) autre adversaire acharné des noces. Mais vu le poids de ces deux derniers dans les médias, l’affaire est loin d’être pliée, comme le rappelait aussi Benoît Cœuré, patron de l’ADLC, ce 19 septembre, invité de BFM Business: « Le calendrier est serré, et oui, il faudra faire des efforts collectifs pour trouver une solution. Mais selon l’acteur intéressé, cela pourrait aussi aller devant la concurrence européenne. » Qui veut être le (nouvel) associé de M6? La saison 2 promet tout autant de suspense.