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« C’est à contrecœur, mais je quitte ce pays qui s’effondre »

« C’est à contrecœur, mais je quitte ce pays qui s’effondre »


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Le 17 novembre 2022 , dans les rues de Khartoum, de jeunes Soudanais exigent justice pour les citoyens morts depuis le coup d’Etat militaire d’octobre 2021.

Comme chaque jour, une longue file d’attente s’étire devant le consulat égyptien dans le centre de Khartoum. Les guichets délivrant les visas de résidence ouvrent leurs portes à 14 heures. Du bout de sa matraque, un policier en uniforme turquoise met de l’ordre dans la cohue. Mohammed Abbas s’extrait de la foule, tout sourire, en brandissant le précieux sésame. Dans une semaine, il prendra le premier bus pour Le Caire.

« C’est à contrecœur, mais je quitte ce pays qui s’effondre », confie le Soudanais de 26 ans. Depuis qu’il est diplômé en comptabilité à l’université de Bahri en 2021, le jeune homme cherche du travail, en vain. « Toute ma génération est au chômage », déplore-t-il.

Les agences de voyages du centre de la capitale sont prises d’assaut par de plus en plus de Soudanais désireux de tenter leur chance dans les pays du Golfe, Arabie saoudite et Emirats arabes unis (EAU) en tête, mais, surtout, en Egypte. Près d’une trentaine de bus sont affrétés chaque jour pour Le Caire par la route qui longe le Nil. Selon le directeur d’une compagnie de transport privé, la demande a doublé en un an. « On voit surtout de jeunes hommes partir », constate l’entrepreneur, qui a souhaité rester anonyme.

« Se marier, avoir des enfants ? Même pas en rêve »

En 2022, des dizaines de milliers de Soudanais, toutes classes sociales confondues, seraient partis s’installer chez leur voisin du Nord, venant s’ajouter aux 4 millions de Soudanais vivant déjà en Egypte selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ils seraient désormais 6 millions, estime un diplomate égyptien en incluant ceux qui effectuent des allers-retours fréquents.

Parmi eux, de plus en plus d’étudiants qui décident de quitter les universités soudanaises, malmenées depuis décembre 2018 et le début de la révolution contre le régime d’Omar Al-Bachir. « Chaque semaine, à chaque manifestation, les forces armées ferment les ponts et bloquent le centre de la capitale. On a eu le Covid, puis les grèves des enseignants qui réclament un salaire décent, sans compter les coupures d’électricité. Et maintenant le coup d’Etat qui nous a plongés dans l’incertitude. Etudier au Soudan est devenu un parcours du combattant », se désole Dafallah Ahmed, 25 ans, qui a commencé ses études d’ingénierie en 2016, mais n’est toujours pas diplômé.

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Et l’horizon, pour les diplômés, n’est pas près de se dégager : l’économie soudanaise est en chute libre un an après le putsch mené par le général Abdel Fattah Al-Bourhane, le 25 octobre 2021. Privées d’aides internationales, les autorités ont drastiquement augmenté les impôts et les taxes entraînant la fermeture de nombreuses entreprises. Les exportations du pays se sont effondrées et l’inflation se maintient à trois chiffres : elle était de 117 % en septembre. La hausse du coût de la vie, aggravée par la flambée mondiale des prix alimentaires et de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine, est devenue insoutenable pour de nombreux ménages soudanais.

« Ce n’est plus vivable, nous n’avons aucune opportunité. Se marier, avoir des enfants ? Même pas en rêve ! Je connais quelques Soudanais en Egypte qui s’en tirent mieux qu’ici, alors je tente ma chance », se hasarde Abubakar, un mécanicien du quartier de Kalakla, au sud de la capitale. A ses côtés, deux collègues, la vingtaine, ont également obtenu leur visa. Le premier rêve de percer dans la boxe et espère participer à des compétitions dans la capitale égyptienne. Le second avoue à demi-mot que l’Egypte ne sera qu’une première étape avant la Libye pour tenter la traversée jusqu’en Europe.

« Avenir incertain »

« Partout dans le pays, l’insécurité est croissante et l’avenir incertain », renchérit Maryam Al-Fateh employée pendant dix ans au ministère de la santé à Port-Soudan. Après de longs mois de réflexion, cette mère de famille a vendu sa voiture et la moitié de sa part des terres familiales dans la région de la Mer Rouge. Le 1er septembre 2022, elle s’est envolée pour Le Caire avec ses trois filles pour les inscrire dans les universités égyptiennes où les Soudanais ne payent que 10 % des frais d’inscription imposés aux étudiants étrangers.

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Une convention signée en 2004 entre l’Egypte et le Soudan garantit la libre circulation des citoyens des deux pays de part et d’autre de la frontière et leur donne le droit de travailler et de posséder des terres ou des entreprises sans restriction. Dans la capitale égyptienne, des dizaines d’écoles soudanaises ont ouvert leurs portes. Dans certains quartiers, comme à Ain Al-Shams ou Faysal, l’afflux de Soudanais a fait doubler les prix de l’immobilier.

« Même si ces arrivées récentes et massives mettent un peu sous pression nos infrastructures et nos services, ce n’est pas une menace pour nous. Ces migrations sont positives, ils arrivent avec des capitaux, injectent des sous dans notre économie mais aussi dans la santé et l’éducation », estime le diplomate égyptien qui a souhaité rester anonyme.

L’Egypte, dont la population a dépassé les 100 millions d’habitants, est, elle aussi, confrontée à une inflation croissante. Contraint d’alléger le poids de la dette massive du pays, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi s’est tourné vers le Fonds monétaire international (FMI) en échange de la dévaluation de la monnaie. Mais la dégradation de l’économie locale reste sans commune mesure avec celle de son voisin du sud. « Les prix du quotidien sont largement abordables comparé au Soudan, surtout l’essence. S’installer en Egypte n’est plus seulement réservé aux Soudanais privilégiés. On voit des gens de toutes classes sociales », poursuit Maryam Al-Fateh. Et parmi ceux qui s’exilent, peu envisagent de revenir au Soudan.

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