Olga et Sasha sont deux sœurs ukrainiennes. La première a 34 ans et est caviste à Paris, où elle habite depuis sept ans. La seconde, âgée de 33 ans, vit à Kiev, comme sa mère et son compagnon, Viktor. Depuis peu, elle travaille à distance pour une agence française de communication numérique. Les deux sœurs ont accepté, depuis le début du conflit, de tenir leur journal de bord pour “M”. Cette semaine, Olga a fini par réserver un billet pour aller retrouver les siens à Kiev. Pour la plus grande joie – teintée d’inquiétude – de Sasha, qui souffre d’un violent mal de dos.
Retrouvez ici tous les épisodes du journal d’Olga et Sasha.
Mardi 19 juillet
Olga : Je suis seule toute la journée à la boutique. Deux personnes russophones entrent. Mes sentiments sont très mitigés. Est-ce des russes ? [Olga et Sasha ont choisi de ne pas mettre de majuscule à « russe » et à « poutine ».] Des Biélorusses ? Des Ukrainiens des régions de l’Est ou de Marioupol ? Comment savoir ? L’accent moscovite est différent de celui du kraï de Krasnodar, cette région russe du sud de la Fédération. Là-bas, l’accent ressemble à celui du sud de l’Ukraine. Je n’ai pas envie de montrer que je parle russe. J’hésite à demander d’où ils viennent. J’ai peur d’être en colère contre des gens qui sont peut-être pro-Ukrainiens. Et, s’ils étaient pro-poutine, quelle serait ma réaction ? En même temps, on voit bien que la cave est engagée pour l’Ukraine, avec les tee-shirts en vente pour soutenir l’armée et les flyers jaune et bleu. Ils achètent une bouteille et s’en vont. Notre pays a été russifié pendant presque deux siècles. Répression, chasse aux élites intellectuelles. Dans la langue ukrainienne, il y a beaucoup de mots qui viennent du vieux russe mais, sinon, c’est une langue à part, libre et indépendante. Et, quand je parle ukrainien, les russes ne me comprennent pas. J’ai déjà essayé.
Sasha : Toutes mes pensées sont orientées vers les risques d’attaque et sur mon dos qui me fait souffrir. J’ai des rendez-vous médicaux, je fais des analyses pour exclure diverses inflammations des organes. J’essaie de travailler, mais ma routine habituelle est un échec complet. Je ne peux plus faire de sport. Je ne peux que me promener avec le chien.
A Kyiv [Kiev, en ukrainien], on dit qu’il y a près de 250 000 personnes arrivées des régions du Sud et de l’Est. Je ne les vois pas, sans doute parce que la ville est déjà très peuplée, plus de 5 millions d’habitants. Mais mon copain D., à Poltava, une petite ville au sud-ouest de Kharkiv, dit que là-bas la population a doublé depuis le début de la guerre, toute la matière grise et la jeunesse de Kharkiv y ont débarqué. Est-ce que tous les gens déplacés à l’étranger ou ailleurs en Ukraine reviendront un jour chez eux ?
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