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Il y a quatre ans, Abacha Muyam et Babakura Alhaji Isa, vendeurs de chapeaux, avaient tous deux voté pour l’actuel président du Nigeria Muhammadu Buhari, originaire du nord du pays et de confession musulmane comme eux. Mais trois mois avant l’élection présidentielle dans le pays le plus peuplé d’Afrique, qui doit désigner un successeur au chef de l’Etat, leur choix diverge.
Si la mégapole de Lagos, dans le sud du pays majoritairement chrétien, compte le plus grand nombre d’électeurs inscrits, les Etats du nord du Nigeria enregistrent historiquement des taux de participation plus élevés. Cela en fait l’un des bassins de vote les plus stratégiques du pays qui compte plus de 215 millions d’habitants.
Ce sont les votes du nord du pays qui ont notamment permis d’élire lors des deux derniers scrutins M. Buhari, qui ne se représente pas. Mais pour la présidentielle du 25 février 2023, les analystes s’accordent à dire que le vote des nordistes sera davantage fragmenté.
Assis à l’ombre d’un arbre à Maiduguri, capitale de l’Etat du Borno, dans le nord-est du pays, M. Muyam, 41 ans, dit qu’il votera pour Bola Tinubu, du Congrès des progressistes (APC). Quant à M. Isa, 27 ans, il donnera son vote à Atiku Abubakar du parti d’opposition le Parti démocratique populaire (PDP).
« Un jeu de nombres »
Seize autres candidats sont en lice pour ce scrutin, notamment Peter Obi, du Parti travailliste (LP), et Rabiu Kwankwaso du Nouveau Parti du peuple nigérian (NNPP). « Le Nord a tendance à voter dans le même sens », explique à l’AFP Hakeem Baba-Ahmed, porte-parole de l’influente organisation sociopolitique, le Northern Elders Forum. Pour tout candidat à la présidence, il est donc crucial de gagner le vote du nord du pays. « Ce qui est bien avec le nord, c’est qu’il n’est pas encore très engagé [envers un candidat spécifique] », ajoute M. Baba-Ahmed.
Dans ce pays extrêmement polarisé entre un nord musulman et un sud chrétien, le vote ethnique et religieux reste important. Mais dans le nord, le choix d’un candidat est plus complexe que lors des scrutins passés : M. Tinubu de l’APC, le parti au pouvoir, est musulman comme la plupart des électeurs du nord, mais il est originaire du sud du pays. M. Abubakar est lui un musulman du nord, mais son parti, le PDP, est plus populaire dans le sud.
M. Kwankwaso du NNPP pourrait gagner les votes de Kano, l’Etat qui dispose du plus grand nombre d’électeurs dans le nord. Tandis que M. Obi du LP est très populaire auprès de la jeunesse du sud. Les deux devraient ravir des votes au candidat du PDP, M. Abubakar. Si les politiciens « ne peuvent pas gagner sans le nord », selon M. Baba-Ahmed, « cela ne suffit pas non plus ».
Les candidats doivent remporter à la fois 50 % du total des voix, mais aussi 25 % des bulletins dans les deux tiers des trente-six Etats du Nigeria. « L’élection présidentielle nigériane est un jeu de nombres », souligne le Center For Democracy and Development (CDD) dans un rapport publié en août. « Les tickets présidentiels sont élaborés en tenant compte de ces calculs nationaux et régionaux », poursuivent les analystes.
Une longue histoire de malversations
Dans le nord-est du pays, certains électeurs voteront pour M. Tinubu, car ils soutiennent le parti au pouvoir (APC) et parce que son choix pour la vice-présidence est Kashim Shettima, un ancien gouverneur du Borno (nord-est). Gambo Saleh, vendeur de pneus, est l’un d’eux. « Son vice-président est de Maiduguri, donc nous aurons une meilleure gouvernance grâce à eux », pense-t-il.
A l’université de Maiduguri, les opinions divergent. « Tinubu est vieux. On ne pense pas qu’il fera grand-chose, s’exclame Zahra Abba, une étudiante de 22 ans en biologie. Moi je veux voter pour Atiku Abubakar. » A 75 ans, M. Abubakar est 5 ans plus âgé que son rival, mais de nombreux Nigérians s’inquiètent de l’Etat de santé de M. Tinubu, des rumeurs affirmant qu’il est gravement malade. Sur les six étudiants interrogés par l’AFP, trois ont indiqué qu’ils ne comptaient pas se rendre aux urnes en février prochain. « Les responsables que nous avons ne nous laissent pas le choix, même si nous votions, il y aura des fraudes », assure l’un d’eux, Abdulrahman Ibrahim.
Le Nigeria a une longue histoire de troubles et de malversations liés aux élections. L’insécurité dans le nord du pays sera aussi un frein majeur au bon déroulement de l’élection, que ce soit dans le nord-est où sévit depuis treize ans un conflit djihadiste ou dans le nord-ouest, où des groupes criminels sèment la terreur en attaquant quotidiennement des villages. Ces derniers pourraient notamment empêcher les gens de voter et compliquer aussi le déploiement des agents et du matériel de la commission électorale.
Le groupe de réflexion CDD, basé à Abuja, a averti qu’une élection largement perturbée dans le nord-ouest pourrait soulever des problèmes quant à « l’acceptabilité des résultats électoraux ».