Bien que, depuis le 16 février 2015, le code civil (article 515-14) admette que les animaux sont « des êtres vivants doués de sensibilité », il continue de les soumettre « au régime des biens meubles ». La règle, énoncée à son article 2276, selon laquelle « en fait de meubles, la possession vaut titre », s’applique donc à eux, comme le rappelle l’affaire suivante.
Dans la nuit du 6 au 7 novembre 2018, Mme X, éleveuse professionnelle de chats de race, s’enfuit de son domicile, sous la menace de son concubin, M. Y, employé dans un magasin. Elle n’emmène que ses deux filles et ses huit chats, dont Bond, un maine coon – reconnaissable à sa taille de géant et à son poil mi-long – devant faire office de reproducteur. Elle reste quinze jours chez une amie, Mme Z, le temps de se retourner.
Lorsqu’elle a retrouvé un toit, Mme X conduit Bond chez le vétérinaire, afin de parachever son inscription au fichier national d’identification des carnivores domestiques (I-CAD). Après avoir lu la puce électronique du chat, le vétérinaire l’informe qu’il y figure déjà, au nom de M. Y. L’éleveuse comprend que son concubin a utilisé les papiers de Bond, abandonnés dans sa fuite, pour se l’approprier, auprès d’un professionnel complaisant, qui n’avait pas le droit de le faire sans voir l’animal.
Or, pour rentabiliser l’achat du géniteur (environ 1 500 euros), elle a besoin de ces papiers, qui permettront de justifier de son pedigree lors des saillies et autoriseront la vente de chatons enregistrés au Livre officiel des origines félines. Le 18 août 2020, elle assigne donc M. Y, afin qu’il soit condamné à les lui restituer. Il soutient alors qu’il est le propriétaire de Bond, et que Mme X le lui a « volé ».
« Présomption » de propriété
L’avocat de Mme X invoque l’article 2276 du code civil, selon lequel la possession d’un bien meuble entraîne une « présomption » de propriété. Il rappelle que celui qui revendique cette propriété – tel M. Y – doit prouver que la possession a été « viciée ». Or, affirme-t-il, la possession de Bond a réuni les « quatre conditions » qui permettent de la dire indemne de tout « vice », puisqu’elle a été « paisible, continue, publique et non équivoque ».
Paisible, car l’acte de vente de Bond prouve que Mme X l’a acheté, en Ukraine, peu après avoir acquis son frère, Banderas, auprès d’une collègue qui lui avait donné, comme à chaque petit de la portée, « un nom de cinéma ». Continue, car sa maîtresse l’a constamment nourri et soigné – ainsi que le confirme Mme Z. Publique, car elle l’a fait participer à des expositions félines. Non équivoque, car elle en était la détentrice exclusive.
Le fait que M. Y ait fait inscrire Bond à son nom auprès de l’I-CAD ne permet pas de « vicier » cette possession, d’autant plus que Mme X fournit une lettre d’excuses du professionnel qui s’en est chargé. Celui-ci assure avoir été « trompé » par M. Y, qui, « en pleurant », a déclaré le chat « enfui ». Le numéro de la puce du chat figurant sur le passeport, le professionnel a retrouvé son dossier et remplacé le nom de l’éleveuse ukrainienne par celui de M. Y.
Mme X obtient donc gain de cause, en première instance, puis en appel, le 19 septembre (2022), auprès de la cour d’appel de Colmar. Las, pour le mâle, la victoire arrive trop tard : interdit de saillies pendant deux ans, il est devenu ingérable et a dû être… castré.