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Une mine toxique a décimé un village des Laurentides

Une mine toxique a décimé un village des Laurentides


Une maladie mortelle causée par la poussière d’une mine a déjà tué 46 travailleurs en quelques années, décimant plus d’un homme sur quatre d’un village des Laurentides dans les années 1940. Un drame qui rappelle les graves enjeux de santé publique liés à la pollution émise par la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda. 

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« Il y a eu tant de décès qu’on a surnommé Saint-Rémi le village des veuves », résume le cinéaste Bruno Carrière, réalisateur de 1948 : L’affaire silicose, l’histoire d’une injustice. Ce documentaire récemment projeté à Montréal relate ce premier drame industriel du Québec survenu à 20 km à l’ouest de Mont-Tremblant, dans les Laurentides.

C’est en 1947 que le journaliste franco-américain Burton LeDoux découvre cette histoire incroyable à la suite d’une enquête de plus de trois mois. Son reportage, publié l’année suivante dans la revue Relations et repris dans les médias de l’époque, a l’effet d’une bombe dans les milieux politiques. 

« Je me souviens du choc que nous avons eu en apprenant qu’il y avait, au Québec, une entreprise qui tuait ses ouvriers. Nous n’avions jamais connu un scandale d’une telle ampleur », commente le sociologue Guy Rocher, en ouverture du film.

Un drame caché

Sur place, presque rien ne subsiste du désastre que l’Église catholique et le gouvernement de Maurice Duplessis, qui tentait de se faire réélire, ont tenté de faire oublier. La Canada China Clay and Silica a fermé la mine quelques mois après la publication du reportage.

Elle avait pris soin de faire disparaître tous les bâtiments témoignant de ses exploitations minières, qui ont duré 37 ans. Ne restent plus, en 2022, que des ruines dans la forêt et la mine à ciel ouvert, à laquelle l’accès est interdit.

Dans un village de 160 familles, cette hécatombe n’est pas passée inaperçue. À l’époque, le journaliste reproche à la compagnie d’avoir fermé les yeux devant la multiplication des cas. 

« Il est impossible que les propriétaires n’en aient pas été pleinement informés. […] Il s’agit ici de négligence criminelle. D’un état des choses équivalent au meurtre légalisé », écrit-il. 

La pointe de l’iceberg ?

D’ailleurs, les 46 décès sont uniquement ceux que le journaliste a retracés. 

« Mais on sait qu’il y a eu de nombreux autres décès, notamment des immigrants dont on a perdu la trace après la fermeture de la mine », se désole le maire de Saint-Rémi, Jean-Guy Galipeau, qui accueillait Le Journal pour un tour historique de sa ville le mois passé.

La silicose, cette « maladie insidieuse, incurable et généralement mortelle », comme l’écrit M. LeDoux, est causée par l’inhalation répétée de la poussière de silice. Les poumons s’obstruent quand celle-ci s’accumule. La personne ne peut plus travailler et meurt dans les mois qui suivent. Sans masque, les mineurs y sont fortement exposés. 

À Saint-Rémi, la concentration de contaminants était si dense que les cas de silicose mortelle apparaissaient après cinq mois d’exposition.


La pierre tombale de la famille Chartrand.

Photo courtoisie, Ginette Lévesque

La pierre tombale de la famille Chartrand.

Au cimetière du village, on voit défiler les noms de victimes : Dérice Thomas, mort en 1937 à 31 ans. Philias Proulx, en 1939, à 60 ans. Les deux plus jeunes victimes : les frères Patrick et Doris Chartrand, morts à 22 ans.


Autrice et musicienne, Ginette Lévesque est une descendante de victimes de la silicose. Son grand-père maternel et deux de ses oncles en sont morts dans les années 1940, à Saint-Rémi-d’Amherst.

Photo courtoisie, Jules Nadeau

Autrice et musicienne, Ginette Lévesque est une descendante de victimes de la silicose. Son grand-père maternel et deux de ses oncles en sont morts dans les années 1940, à Saint-Rémi-d’Amherst.

« C’étaient mes oncles ; ils n’avaient travaillé que quelques mois à la mine », raconte Ginette Lévesque, qui a participé au travail de mémoire entrepris par le village. Une commémoration est prévue pour l’an prochain, à l’occasion du 75e anniversaire de la fermeture de la mine.

Retracer l’histoire

Originaire de Saint-Rémi, elle a tenté de retracer leur histoire. 

« Comme il n’y avait aucun filet social, les femmes restaient avec leurs nombreux enfants sans revenu, ou presque. »

Des femmes ont dû recourir à la prostitution.

« Ma propre grand-mère est du nombre ; je l’ai découvert en consultant sa correspondance », relate-t-elle.

Peu connu du grand public ni même des livres d’histoire, le drame de la silicose à Saint-Rémi a pourtant été le berceau du syndicalisme ouvrier.

La revue Relations, qui a publié le reportage de 20 pages du journaliste, a payé cher son scoop parce que ses éditeurs jésuites ont été limogés après l’intervention de l’Église. 

Le reportage a aussi ébranlé le public de l’époque. Les 15 000 exemplaires se sont envolés et une synthèse est parue dans les bulletins paroissiaux distribués dans toutes les églises.

Le journaliste d’enquête a survécu à un violent accident d’auto à Montréal en mai 1948 et il est mort en Virginie en 1979. 

LA SILICE


La mine de silice de Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides, s’est bâtie autour d’un gisement de silice pure qu’on voit ici. Il s’agit d’un minerai blanc friable qui, broyé, sert à de multiples usages industriels.

Photo Mathieu-Robert Sauvé

La mine de silice de Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides, s’est bâtie autour d’un gisement de silice pure qu’on voit ici. Il s’agit d’un minerai blanc friable qui, broyé, sert à de multiples usages industriels.

Ce qui amène la compagnie américaine Canada China Clay and Silica à s’installer à Saint-Rémi-d’Amherst est une roche blanche et friable qui se révèle, sous l’œil des prospecteurs, un rare gisement de silice pure, un matériau recherché pour la fabrication du verre, de savons et de détergents. On exploite alors le minerai à ciel ouvert et on creuse plusieurs puits où s’engouffrent des mineurs.

« L’école était remplie d’orphelins » 

Un rare ancien travailleur de la mine de silice, qui est toujours en vie, a connu les 46 victimes de la tragédie et il est convaincu qu’ils sont plus nombreux.


Jean-Paul Thomas

Photo Mathieu-Robert Sauvé

Jean-Paul Thomas

« On veillait les corps et on les enterrait. L’école était remplie d’orphelins », relate Jean-Paul Thomas, qui est né et a grandi à Saint-Rémi. 

L’homme de 92 ans dans une forme resplendissante n’a travaillé que quelques mois pour la Canada China Clay and Silica. « J’avais été engagé à 17 ans et l’âge légal était 18 ans ; je ne travaillais pas dans le trou », confie-t-il au Journal.


L’église de Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides. Elle a accueilli les funérailles de nombreux hommes victimes de silicose.

Photo Mathieu-Robert Sauvé

L’église de Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides. Elle a accueilli les funérailles de nombreux hommes victimes de silicose.

Il affirme avoir connu toutes les victimes de la tragédie, car il était enfant de chœur et assistait aux funérailles. 


La mine de silice a fauché la vie de dizaines de mineurs, dont trois membres de cette famille. Exélus Chartrand et ses deux fils, Patrick et Doris, sont morts de la silicose.

Photo courtoisie

La mine de silice a fauché la vie de dizaines de mineurs, dont trois membres de cette famille. Exélus Chartrand et ses deux fils, Patrick et Doris, sont morts de la silicose.

« On parle toujours des 46 morts mais il y en a eu beaucoup plus. Quand on a fermé la mine, les travailleurs sont partis. Je suis certain que plusieurs sont morts de la silicose sans laisser de traces. »


La statue du Sacré-Cœur a été érigée à Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides, en 1948, afin de commémorer le décès de nombreux hommes qui travaillaient à la mine de silice.

Photo Mathieu-Robert Sauvé

La statue du Sacré-Cœur a été érigée à Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides, en 1948, afin de commémorer le décès de nombreux hommes qui travaillaient à la mine de silice.

Sa famille n’a pas été touchée par des décès, car son père était entrepreneur en construction et n’a pas travaillé à la mine. Ses sœurs étaient employées d’hôtel. Sa ville natale était très prospère dans les années 1940 ; on y trouvait trois hôtels, des magasins généraux, des salons de coiffure.

C’est d’ailleurs Jean-Paul Thomas qui a abaissé le breaker actionnant la machinerie de son unité quand la compagnie a mis fin à son exploitation.  

Encore des morts de la silicose aujourd’hui  

Encore de deux à 13 travailleurs meurent chaque année de la silicose au Québec, près de 75 ans après le drame de Saint-Rémi.

Depuis 10 ans, de 18 à 45 nouveaux cas sont recensés annuellement, selon des données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CNESST). 

Ce sont principalement les travailleurs des mines, du pétrole, du gaz et du secteur de la fabrication de meubles ou d’ébénisterie qui sont le plus exposés et de qui provient la plus grande partie des réclamations.

« Ces chiffres ne reflètent pas la réalité, car il ne s’agit que de cas reconnus par la CNESST et non l’ensemble des patients observés par les médecins », signale la Dre Marie-Laure Durand-Hemery, spécialiste de médecine du travail à l’Université de Montréal.

Pour la CNESST, la silicose est une maladie professionnelle envers laquelle on applique la « tolérance zéro ». Les normes sont sévères et les sanctions lourdes contre les entreprises fautives ; elle peut forcer la fermeture d’une usine et la poursuivre en justice.

Norme resserrée

Or, les morts et les cas continuent de s’additionner au Québec.

Par ailleurs, la CNESST affirme avoir modifié par règlement, en début d’année, la valeur d’exposition admissible pour la matière responsable de la silicose. « Cette dernière sera diminuée de moitié en passant de 0,1 mg/m3 à 0,05 mg/m3 pour 8 heures », explique le porte-parole, Antoine Leclerc-Loiselle.

En clinique, on dépiste la maladie plus rapidement de nos jours. Selon la Dre Durand-Hemery, on devrait être vigilant envers les travailleurs exposés à la poussière, même s’ils ne sont pas liés aux secteurs les plus touchés. Notamment auprès de ceux qui coupent le béton pour restaurer les routes et les trottoirs, par exemple.

Qu’a-t-on appris du drame de Saint-Rémi ? Des lois plus robustes et une meilleure prise en charge des patients, répond l’experte. « De nos jours, c’est une maladie qui apparaît chez des personnes de 60 ans et plus. Là-bas, des travailleurs de 22 ans en mouraient après quelques mois d’exposition. »

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