
Avant même que les Bleus n’y posent leurs valises, mercredi 16 novembre, leur camp de base a déjà été au cœur d’une polémique. Les joueurs n’y sont pour rien, la faute de communication revient surtout à leur supérieur, Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF). Avec son confort cinq étoiles, l’hôtel Al-Messila (détenu par la chaîne Marriott) ne nécessite pas de travaux de dernière minute pour cacher la misère. Pourtant, il a été au cœur d’une histoire de « coups de peinture ».
Un président n’aurait peut-être pas dû dire cela. Le 13 octobre, le magazine de France 2 « Complément d’enquête » dévoile les conditions de vie peu reluisantes des employés d’un prestataire chargé de la sécurité du camp de base des Français. Ces logements sont situés à l’« Industrial Area », quartier périphérique de Doha – un « endroit strictement interdit aux caméras » –, dépourvus d’espace vert et d’infrastructures de transports, décrivent les journalistes.
Confronté à ces images de chambres exiguës infestées de cafards, où les travailleurs s’entassent sur des lits superposés (sans parler des sanitaires insalubres), Noël Le Graët préfère alors relativiser : « Ce n’est pas insoluble ça, c’est un coup de peinture. Il y a encore le temps de réparer ça. (…) Je peux vous montrer plein d’images comme ça dans plein de pays, même peut-être pas très loin d’ici [de Paris]. »
La phrase ne passe pas. Dès le lendemain de l’émission, la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, juge cette réaction « hors-sol » et « manquant d’humanité et même de lucidité ». « Il faut que la FFF prenne sa part de responsabilité et fasse tout ce qui est en sa capacité pour que, sur le sujet des conditions de travail, du respect des droits humains sur son camp de base, la situation s’améliore », poursuivait-elle.
La directrice générale envoyée sur place
Du côté de la fédération, on regrette la mise en avant de cette petite phrase dans le montage de l’émission. Sollicitée dès le 2 octobre par « Complément d’enquête », la FFF avait annoncé dans un courrier diffusé par l’émission, mais en fin de reportage, l’envoi d’une « mission » sur place « mi-octobre » et disait avoir déjà « mis en œuvre une série de vérifications concernant les six prestataires en contrat avec le groupe hôtelier ».
Avant même cette inspection, la société de sécurité choisie pour le camp de base des Bleus avait même été écartée « en raison du non-respect des droits sociaux et humains », rappelle la fédération. Cette dernière aurait-elle pu réagir plus vite ? Selon les informations du Monde, la « 3F » n’a pas répondu à la proposition de l’Organisation internationale du travail (OIT) d’utiliser sa grille d’évaluation pour vérifier les pratiques d’embauche et les conditions de travail dans les hôtels qataris. « La fédération française n’a pas donné suite », explique un responsable de l’OIT. A la différence de ses homologues danoises, belges, américaines et anglaises.
Du 18 au 20 octobre, un triumvirat fédéral s’est donc rendu sur place pour une visite d’inspection et s’entretenir avec les dirigeants des différents sous-traitants opérant sur le camp de base des champions du monde en titre. A sa tête, on trouvait la directrice générale, Florence Hadouin, accompagnée par son vice-président délégué, Philippe Diallo, mais aussi Erwan le Prévost, le directeur des relations institutionnelles et internationales.
Sur place, la délégation française a pu « s’assurer que les différentes entreprises intervenant sur le camp de base de l’équipe de France (…) respectaient bien les dernières réformes en matière de droit social et droit du travail au Qatar », peut-on lire dans un communiqué. La fédération promet aussi un contrôle hebdomadaire supplémentaire auprès de l’ensemble des prestataires.
Depuis sa désignation, le 2 décembre 2010, pour organiser la Coupe du monde, le Qatar est l’objet de nombreuses critiques d’ONG sur le respect des droits humains des travailleurs étrangers, originaires principalement d’Afrique et d’Asie. Doha dit avoir réformé ses lois avec l’abolition en grande partie du système de la « kafala » (nécessité d’obtenir un permis pour sortir du pays, autorisation requise pour changer d’employeur), l’instauration d’un salaire minimum mensuel d’environ 250 euros, de la durée maximale de travail de 60 heures hebdomadaires et d’un jour de repos obligatoire par semaine. Mais l’affaire du « coup de peinture » a montré que la réalité restait plus contrastée sur le terrain.
Notre sélection d’articles sur la Coupe de monde 2022