Il prétendait « rectifier le cours de la révolution ». Mais un an après le coup d’Etat du 25 octobre 2021 qui a fait dérailler la transition démocratique amorcée en 2019 après la chute de la dictature d’Omar Al-Bachir, le général Abdel Fattah Al-Bourhane n’est pas parvenu à consolider son pouvoir. Contestés dans la rue, les militaires, qui attribuaient, en 2021, la responsabilité de la détérioration de la situation au gouvernement mené par Abdallah Hamdok, doivent faire face à une profonde crise sociale.
Le robinet de l’aide internationale s’est tari au lendemain du putsch. Plus de 4,6 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros), prévus pour des projets dans l’énergie, l’agriculture ou la santé ainsi qu’un programme de soutien aux familles les plus pauvres, ont été gelés. Pour se financer, les autorités ont décidé d’augmenter drastiquement les taxes. Une hausse du coût de la vie aggravé par la flambée mondiale des prix alimentaires et de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine.
Après plusieurs jours de manifestations durement réprimées, le général Al-Bourhane a déclaré en juillet que l’armée était prête à rendre le pouvoir à un « gouvernement de personnalités compétentes ». Une manière de renvoyer la balle dans le camp des forces civiles, divisées sur la question d’un éventuel accord avec la junte. Des négociations se tiennent en coulisses avec plusieurs représentants des Forces de la liberté et du changement (FLC) – la coalition de partis qui avait signé en 2019 l’accord de partage de pouvoir avec l’armée –, sous les auspices des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.
Equation subtile
Depuis le début du mois de septembre, chaque partie laisse entendre qu’une issue à la crise est imminente. « Les médiateurs internationaux mettent la pression pour qu’un accord soit signé rapidement. Y croire serait naïf. L’équation est extrêmement subtile, et ce serait une erreur de précipiter la signature d’un accord qui n’a aucune chance d’être appliqué », analyse Kholood Khair, fondatrice du cercle de réflexion Confluence Advisory.
Un accord signé avec les civils offrirait aux généraux une porte de sortie, des garanties d’amnistie ou du moins une position privilégiée au sein d’un conseil des forces armées. Mais trois questions majeures restent en suspens : la justice transitionnelle, les intérêts économiques de l’armée et la réforme du secteur de la sécurité.
Pour obtenir des concessions, les FLC misent sur la poursuite d’une importante mobilisation populaire. « Ils jouent la carte de la rue. Mais en s’asseyant à la table de négociation, ils se sont déjà discrédités vis-à-vis d’une grande partie de la population qui n’a pas confiance dans les généraux », analyse Jihad Mashamoun, professeur à l’université d’Exeter.
Allié de l’Egypte
Pendant ce temps, la situation sécuritaire se dégrade dans le pays, sur fond d’inondations, de mauvaises récoltes et de conflits pour la terre ou les ressources. Les dernières violences en date, dans l’Etat du Nil-Bleu, ont fait plus de deux cents morts en cinq jours d’affrontements entre communautés. En un an, des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées et au moins 15 millions de Soudanais, soit un tiers de la population, sont désormais touchés par la faim.
Dans le chaos ambiant, les soutiens du président déchu Omar Al-Bachir se tiennent en embuscade. Dans le sillage du putsch, de nombreux partisans du régime islamiste ont été réhabilités, sortis de prison ou sont revenus d’exil. Beaucoup ont retrouvé leurs postes dans les administrations et sont de nouveau actifs sur la scène politique. Des alliés de poids pour le chef de la junte qui cherche à contrebalancer l’influence de son adjoint, le général Mohammed Hamdan Daglo, « Hemetti », lequel nourrit une guerre larvée avec les islamistes.
Dans cette entreprise, le général Al-Bourhane bénéficie d’un allié de poids dans la région : l’Egypte. « Avec la bénédiction du Caire, Bourhane tente de se présenter comme le seul garant de la stabilité. Il assure être un rempart à la résurgence des islamistes », résume Suliman Baldo, fondateur du Sudan Policy and Transparency Tracker. Le général, qui avait rencontré le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi la veille de son coup d’Etat, a effectué une nouvelle visite au Caire au mois de septembre. Plusieurs sources confirment qu’une équipe de conseillers des renseignements égyptiens a été dépêchée à Khartoum pour aider le chef de la junte à louvoyer dans la crise actuelle. Pour la plupart des opposants au coup d’Etat, tout nouvel accord de partage du pouvoir avec la junte serait considéré comme une trahison. Alors que plus de 118 manifestants ont été tués par les forces de l’ordre en un an, un nouvel appel à descendre dans la rue a été lancé.