Le groupe M6 fait l’actualité. Il y a bien sûr les sujets stratégiques: l’abandon de sa fusion avec TF1, et le rejet ce week-end de trois offres de vente. Et puis il y a les sujets humains: il s’agit de savoir si le président du Directoire, Nicolas de Tavernost, restituera ou pas à l’entreprise la prime exceptionnelle de 3,5 millions d’euros votée en avril par les actionnaires. Le vote s’est fait du bout des lèvres: le score final, 67% seulement de votes favorables, montre que seuls les actionnaires de référence RTL et Albert Frère se sont prononcés pour. Les investisseurs du flottant ont voté contre. La prime a été versée à l’issue de l’assemblée générale, en mai.
Une prime motivée par la fusion avec TF1
Ce qui a gêné les investisseurs, c’est la motivation de cette prime: la réussite de la fusion avec TF1, qui n’était pas acquise en avril dernier – et l’histoire a montré, depuis, qu’elle pouvait en effet ne pas se faire. La prime venait officiellement compenser la renonciation du dirigeant à son « parachute », qui changeait de structure de rémunération dans le cadre de la fusion. Lorsque M6 a annoncé le 16 septembre que la fusion ne se ferait pas, l’agence de recommandation de vote Proxinvest a immédiatement demandé la restitution de la somme à l’entreprise. M6, par communiqué de presse, a annoncé que le versement par anticipation du parachute n’était en fait pas lié à la réussite de la fusion avec TF1 – une affirmation contradictoire avec les propos tenus lors de l’assemblée générale 2022. Nicolas de Tavernost a touché un parachute sans changer de fonction, motivé par une fusion qui n’a pas eu lieu, mais ne rendra pas ces 3,5 millions d’euros à M6, qui ne le lui demande pas.
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Pas de clause de « clawback »
Des voix s’élèvent pour dire que tout cela n’est pas bien normal et n’aurait pas été possible si M6 avait mis en place une clause dite « de clawback ». Cette clause, née aux Etats-Unis, prévoit que les sommes versées aux dirigeants puissent être restituées à la société s’il s’avérait qu’elles ont été indûment perçues, dans des cas très précisément définis: par exemple des états financiers nécessitant des ajustements comptables significatifs, ou en cas de fraude. Rien de comparable avec le cas M6.
En Europe, la présence d’une clause de « clawback » est certes recommandée par les directives européennes depuis 2009. Les Néerlandais ont voté une loi permettant à l’entreprise de demander que lui soit restitué tout bonus accordé sur la base d’une information fausse. Au Royaume-Uni, les sociétés peuvent en théorie reprendre tout le variable versé au cours des sept dernières années. Mais en France, le législateur n’en parle pas, ni le Code Afep Medef. Quelques rares sociétés ont prévu cette clause – Worldline, EssilorLuxottica, notamment, et les banques. Mais là aussi il s’agit de conditions d’applications particulières.
Avec la directive CRD 4, la rémunération d’un dirigeant de banque se fait obligatoirement sous forme de bonus différé, étalé sur plusieurs années: le « clawback », s’il devait survenir, se ferait sous la forme du non-versement d’un bonus décidé antérieurement, ce qui est différent de la restitution d’une prime déjà versée. C’est que ce dispositif est difficilement compatible avec le droit français. Pour récupérer une somme déjà versée à un dirigeant, il faudrait, en France, le poursuivre devant un tribunal dans le cadre d’une action en responsabilité, démontrer qu’il y a une faute personnelle commise par le mandataire social, et que cette dernière est génératrice de la mauvaise situation de l’entreprise. Nicolas de Tavernost n’est pas dans ce cas.
Prime de fin de carrière
Dans trois ans maximum, du fait de la limite d’âge, Nicolas de Tavernost quittera la présidence du Directoire de M6. Il n’aura alors pas droit à un « parachute ». La présidente du Comité des Rémunérations Marie Cheval, PDG de Carmila, la foncière de Carrefour, entourée de Sophie de Bourgues, directrice juridique de M6 représentant les salariés, et Elmar Heggen, représentant l’actionnaire de référence RTL Group, ont probablement voulu simplement qu’il ne parte pas sans prime, et lui ont octroyé un bonus de couronnement de 35 ans de carrière. Inscrire une clause de « clawback » n’aurait rien changé.
Par Bénédicte Hautefort, Fondatrice de la fintech Scalens et éditorialiste à Challenges