Les consommateurs ne s’en sont pas rendu compte, mais le prix du gaz dégonfle très nettement sur les marchés financiers. Alors que le contrat de référence s’envolait à plus de 300 euros le mégawattheure (MWh) à la fin d’août, il a coté à plusieurs reprises moins de 100 euros cette semaine.
L’Union européenne (UE), qui anticipe une nouvelle hausse des cours dès que la demande rebondira, sait aussi que cette récente décrue des prix n’atteindra probablement pas les consommateurs en bout de chaîne. Jozef Sikela, le ministre tchèque de l’industrie, dont le pays occupe la présidence tournante de l’UE, a ainsi reconnu que ce repli « ne se reflét[ait] pas dans les tarifs pour les consommateurs ».
En effet, s’ils sont les deux faces d’un même problème – le manque de combustible –, les cours du gaz (sur les marchés de gros) et les tarifs du gaz (pour les clients finaux) fonctionnent de façon différente. Le point sur ces deux mécanismes et leurs répercussions sur les consommateurs.
Une baisse temporaire des cours du gaz sur les marchés
La baisse actuelle des cours tient principalement à la météo clémente et au ralentissement de l’industrie européenne, ralentissement dû aux prix trop élevés des dernières années, justement. Pendant ce temps, la fourniture en gaz naturel liquéfié (GNL) a pris de l’ampleur, comme en témoignent les embouteillages des méthaniers aux abords des ports européens.
Le cours de l’indice boursier de référence pour livraison immédiate a même fait une incursion en territoire négatif cette semaine. En temps normal, le stockage équilibre l’offre et la demande de matières premières, qui patientent en mer, sous terre ou dans des réserves en attendant que la demande rebondisse. Mais, cette fois, la demande diminue sur les marchés alors que le stockage en Europe est pratiquement plein et ne peut donc pas absorber l’offre excédentaire.
Reste que la tendance de long terme est au renchérissement. Les inquiétudes des investisseurs se cristallisent autour de la situation en Ukraine : ils craignent que la très forte réduction des livraisons de gaz russe en Europe se poursuive l’an prochain. Le gaz russe ne représente plus que 9 % de la consommation des Européens, contre 45 % en moyenne en 2021.
Résultat, les prix du gaz restent très hauts. Et, selon le rapport annuel sur les perspectives énergétiques mondiales de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié jeudi 27 octobre, ils devraient rester plus élevés, dans les dix ans à venir, qu’ils ne l’ont été au cours de la décennie passée.
Contexte. Depuis les années 1990, l’UE a progressivement ouvert les marchés nationaux de l’énergie à la concurrence pour harmoniser et libéraliser le marché européen et mieux l’interconnecter. Les échanges peuvent se faire sur des Bourses – pour le gaz, la place financière qui a pris le plus d’importance est la Bourse néerlandaise, avec son indice TTF (pour Title Transfer Facility) – ou de gré à gré, entre les acteurs du marché. Concernant le marché de gré à gré, l’Etat ne peut pas influer sur les prix comme dans le cas de l’électricité (où EDF doit fournir de l’énergie à coût réduit aux fournisseurs alternatifs), car l’essentiel du gaz français est importé. Dans le cas des échanges boursiers, difficile là aussi d’intervenir car ils sont en principe réservés à des opérateurs financiers, producteurs, fournisseurs et négociants, qui achètent et vendent pour des livraisons immédiates ou différées. Toutefois, deux pistes sont envisagées au niveau européen : plafonner au niveau communautaire les prix du gaz destiné à produire de l’électricité et inciter les Etats membres à se grouper pour acheter au moins 15 % de leur gaz.
Une majorité d’offres à tarif fixe
Depuis 2007 et l’ouverture à la concurrence, les consommateurs peuvent choisir entre quatre types d’offres :
- à tarif réglementé par les pouvoirs publics, révisé tous les mois en fonction, notamment, des coûts d’extraction et de transport, mais gelé depuis octobre 2021 ;
- à tarif libre indexé sur les tarifs réglementés, révisé tous les mois, mais également gelé depuis octobre 2021 ;
- à tarif libre indexé sur le marché de gros, révisé tous les mois, trimestres, semestres, selon le contrat ;
- à tarif libre fixe, valable entre un à quatre ans, selon le contrat.
Plus de la moitié des 10,7 millions de ménages qui se chauffent ou cuisinent au gaz ont souscrit une offre de marché à prix libre fixe. Moins d’un quart des foyers ont opté pour une offre libre à prix variable, indexée sur les tarifs réglementés, ou pour une très faible part sur les marchés de gros. Le quart restant bénéficie du tarif réglementé, auquel on ne peut plus souscrire depuis 2019 et qui s’éteindra en juillet 2023 – à la place, une moyenne des prix pratiqués ainsi que des marges réalisées par les fournisseurs sera publiée chaque mois par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour servir d’indicateur.
Depuis octobre 2021, les fournisseurs de gaz au tarif réglementé (Engie ou, sur 5 % du territoire, une entreprise locale de distribution, comme à Bordeaux, Strasbourg, Grenoble…) peuvent faire bénéficier leurs clients du bouclier tarifaire. C’est également le cas, depuis la loi de finances rectificative, pour tous les fournisseurs, historiques et alternatifs, « pour tout contrat conclu à compter du 1er septembre 2022 », y compris donc ceux indexés sur le marché de gros. Concrètement, soit les tarifs sont gelés (dans le cas des tarifs réglementés), soit le consommateur doit recevoir une compensation via son fournisseur.
Le maintien de prix hauts attendu pour les prochaines années
D’après les calculs du gouvernement, le bouclier tarifaire garantit aux ménages qui se chauffent au gaz une augmentation moyenne des factures de l’ordre de 25 euros par mois, au lieu de 200 euros si le dispositif n’existait pas. Depuis un an, le prix moyen du gaz est en hausse de 22 %, si l’on compare le premier semestre 2021 aux six premiers mois de 2022.
De fait, selon l’offre choisie, les consommateurs seront soumis aux scénarios suivants :
- pour ceux ayant un contrat au tarif réglementé ou indexé sur le tarif réglementé : après avoir été gelé pendant plus d’un an, le prix du kilowattheure (kWh) évoluera à la hausse à partir de l’an prochain, dans la limite de 15 % en janvier 2023 ;
- pour ceux ayant un contrat à un tarif libre fixe ou indexé sur le marché de gros souscrit ou renouvelé après le 1er septembre, ils recevront une compensation de la part de leur fournisseur, correspondant à la part de coût supplémentaire supporté par ce dernier ;
- pour ceux ayant un contrat à un tarif libre fixe ou indexé sur le marché de gros conclu avant le 1er septembre, aucune aide n’est prévue.
Certains contrats indexés sur les marchés de gros et révisés mensuellement pourraient profiter de la baisse des derniers mois et apporter une ristourne au consommateur, mais elle ne compensera pas la hausse supportée depuis deux ans.
Quel que soit le type de contrat, le gouvernement incite les consommateurs à changer de fournisseur si l’accord leur est défavorable. Sauf que la situation devient de plus en plus délicate pour les clients : « La crispation du marché fait que les fournisseurs limitent la prise de risque : ils ne veulent plus de contrat à prix fixe ou de courte durée, ni de flexibilité », expliquait au Monde Cyrille Fabre, directeur de l’exploitation chez Paris Habitat.
« Les prix sur les marchés de l’électricité et du gaz sont actuellement élevés. Certains fournisseurs ne proposent provisoirement plus d’offres », confirme le médiateur de l’énergie. « Les perturbations du marché de l’énergie nous amènent malheureusement à suspendre momentanément l’accueil de nouveaux clients », explique ainsi l’entreprise de production et de distribution d’électricité suédoise Vattenfall, qui proposait des offres parmi les plus concurrentielles.
Les risques inhérents à ces évolutions en dents de scie fragilisent de nombreux distributeurs qui n’étaient pas assez couverts financièrement pour faire face à des écarts de prix aussi importants. Défaillances et modifications contractuelles déloyales des distributeurs se multiplient. Elles sont dénoncées par les associations de défense des consommateurs, comme Consommation Logement Cadre de vie (CLCV). Plusieurs dossiers sont désormais entre les mains de la justice.