« Nous nous félicitons de la conclusion du traitement de la dette envers le Tchad. » L’annonce est simple, publiée au beau milieu de la déclaration des leaders du G20 réunis à Bali les 15 et 16 novembre, mais elle revêt un caractère de satisfecit en tant que premier succès du cadre commun pour le traitement de la dette des pays pauvres. Les dirigeants des 20 pays les plus riches au monde l’ont d’ailleurs rappelé, ils suivront de près les négociations qui concernent la Zambie et l’Éthiopie – les deux autres pays africains qui ont fait appel à l’iniative – et encouragent les parties prenantes à aboutir rapidement à un accord.
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Dette : le Tchad obtient un accord inédit avec ses créanciers privés
En janvier 2021, le Tchad est en effet devenu le premier pays à demander une restructuration de sa dette, jugée insoutenable dans le cadre du mécanisme établi mi-2020 par le G20 (ISSD ou initiative de suspension du service de la dette), dont le cadre avait été adopté en novembre. Un comité des créanciers publics orchestré par le Club de Paris et le G20, réunissant la Chine, la France, l’Inde et l’Arabie saoudite, a été mis en place six mois plus tard. Et en juin de l’année dernière, un accord a été annoncé sur la restructuration de la dette. Ce comité s’est par ailleurs engagé à soutenir un programme de prêts du FMI pour soutenir le Tchad.
Pour N’Djamena, dont la dette publique s’élevait à environ 3 milliards de dollars (près de 2,9 milliards d’euros), dont un tiers était détenu par des créanciers privés, il est apparu fondamental d’engager des négociations avec ces derniers. Un principe de traitement comparable soutenu notamment par le FMI, qui a exhorté les créanciers privés – dont le géant anglo-suisse de la négoce de matières premières Glencore – à emboîter le pas aux prêteurs publics.
Nous sommes aujourd’hui le pays pionnier dans la démarche que nous avons construite de A à Z et en partant de zéro
Pour Jeune Afrique, Tahir Hamid Nguilin, le ministre des Finances et du Budget du Tchad en poste depuis 2019 et ancien vice-gouverneur de la BEAC, lève le voile sur les coulisses de négocations qui auront duré deux ans. Reconnu pour ses talents de négociateur et sa ténacité, il raconte cette journée marathon du 10 novembre, au terme de laquelle, aux premières heures du vendredi suivant, le pays d’Afrique centrale a réussi à obtenir un accord inédit de rééchelonnement de sa dette jusqu’à 2024.
Jeune Afrique : Selon les données du FMI, la dette publique du Tchad s’élevait à 2,8 milliards de dollars, soit 25,6 % du PIB, à la fin de l’année 2019. Comment le pays s’est-il retrouvé dans cette situation ?
Tahir Hamid Nguilin : Lorsque nous avons conclu la restructuration de 2018 avec Glencore, relative à la dette née du rachat en 2014 des 25 % de l’américain Chevron dans le consortium qui exploite le bassin pétrolier de Doha [pour financer l’acquisition, N’Djamena avait emprunté 1,2 milliard de dollars auprès du géant des matières premières et de son pool bancaire, NDLR], nous nous sommes protégés en nous basant sur plusieurs scénarios, estimant que le prix du baril de brut ne pouvait descendre en deçà des 30 dollars.
Mais avec la pandémie, que personne n’a vu venir, les prix sont descendus à 10 dollars. Les recettes de l’État ont dégringolé, ce qui nous a empêché de rembourser notre dette à la cadence initialement prévue. Les prévisions de service de la dette totale sur les années à venir montrait que nous allions dépasser la barre symbolique des 14 % des recettes. La dette tchadienne a été qualifiée d’insoutenable. Sachant qu’avec un tel service de la dette, l’accès à certains financements peut être difficile.
Quels ont été les leviers qui ont permis de débloquer deux ans de négociations infructueuses ?