Symbolisées par le report d’un conseil des ministres conjoint, les tensions franco-allemandes de cet automne se cristallisent sur des désaccords énergétiques et militaires et découlent plus largement de la nouvelle donne géopolitique suscitée par l’invasion russe de l’Ukraine. Il appartient aux deux pays d’adapter leurs positions à cette nouvelle donne, en traitant les problèmes qui leur sont propres autant que ceux qui concernent leur coopération bilatérale.
Les relations franco-allemandes sont mises à l’épreuve chaque fois qu’il y a du nouveau à l’est de l’Europe, au prix de brouilles plus ou moins contenues : « l’Ostpolitik » de Willy Brandt incita ainsi Georges Pompidou à ouvrir les portes de la Communauté économique européenne au Royaume-Uni, en guise de contrepoids dans une forme de « ménage à trois » ; la chute du Mur et la réunification avec l’Allemagne de l’Est conduisirent François Mitterrand à plaider pour la création de l’Union européenne (UE) et de la monnaie unique, en obtenant de l’Allemagne qu’elle sacrifie le Deutsche Mark dominant pour réaffirmer son ancrage européen ; l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale imposa un rééquilibrage des pouvoirs de décision consacrant la fin de la parité franco-allemande aux termes du traité de Nice, âprement négocié par Jacques Chirac et Gerhard Schröder ; et la perspective d’une adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Géorgie et des Balkans déplace d’ores et déjà le centre de gravité de l’UE vers l’est en renforçant la centralité de l’Allemagne.
Cette « orientalisation » de l’Europe et de l’Allemagne constitue une blessure d’amour-propre pour les autorités et les élites françaises, mais aussi un défi politique qu’elles doivent relever en redoublant d’humilité et d’inventivité dans leur dialogue avec Berlin.
Décisions solitaires et incomprises
L’évolution du contexte géopolitique doit naturellement conduire l’Allemagne à s’aviser de ses nouvelles responsabilités bilatérales et diplomatiques. Il est à cet égard fâcheux que la guerre en Ukraine survienne alors qu’une coalition tripartite inédite en est encore à prendre ses marques à Berlin, au prix de négociations internes d’autant plus chronophages que l’Allemagne doit revoir en urgence nombre de ses mauvais choix stratégiques en matière énergétique et militaire…
Cette « introversion berlinoise » a donné lieu à des décisions nationales solitaires et incomprises, et qui ont été d’autant plus mal ressenties compte tenu de la surpuissance économique et financière de l’Allemagne, sensible jusqu’en France. Une telle introversion est sans doute accentuée par le tempérament taciturne prêté au nouveau chancelier, dont l’économie de mots contraste avec le trop-plein oratoire de son homologue français.
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