Face à la flambée des prix de l’énergie, certains industriels du métal et du verre réduisent leur production et placent une partie de leurs employés au chômage partiel. Les salariés, premières victimes de cette crise énergétique, font part à BFMTV.com de leurs inquiétudes à l’approche de l’hiver.
« Ça fait mal aux tripes, après 28 ans de boîte ». Au sein de la cristallerie Arc, spécialisée dans la fabrication de verre, un véritable « coup de massue » s’est abattu sur Olivier Billaud et ses collègues lorsqu’ils ont appris qu’ils allaient devoir diminuer drastiquement leur production de verres à partir de début septembre, et ce jusqu’à décembre minimum.
« Ce n’est jamais agréable, on se sent impuissants », confie à BFMTV.com cet assistant administratif et technique de 46 ans, dont la famille travaille dans l’usine d’Arcques (Nord) depuis trois générations. « Même si on s’en doutait un peu en voyant les prix monter, car on sait à quel point on dépend de l’électricité… »
Un tiers des salariés (1600 sur 4600) du site sont placés au chômage partiel depuis le 1er septembre, à raison de deux jours par semaine, et ne toucheront donc que 84% de leur salaire. En cause, l’explosion du prix du gaz (de 19 millions d’euros en 2019 à 220 millions estimés en 2023) qui a forcé l’entreprise à réduire la voilure de sa production, et à mettre certains fours à l’arrêt.
Avec l’inflation, « c’est la double peine »
« Psychologiquement c’est très dur. Quand on est célibataire, ça veut dire rester seul chez soi certains jours, un peu comme pendant le Covid. Et financièrement, je n’en parle même pas… J’ai fait les calculs et ça devrait représenter une baisse de salaire de 150 à 200 euros de salaire par mois », estime Olivier Billaud, qui a appris par la même occasion que son poste allait être supprimé dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise, et qu’il devrait donc être affecté à une nouvelle mission dans les prochains mois.
« Fabriquer du verre dans un contexte pareil, c’est devenu une équation très très complexe », reconnaît Tanguy Tartar, délégué syndical central de l’UNSA et technicien fusion sur les fours du site d’Arcques.
« On se fait percuter » par cette hausse, estime de son côté Guillaume Rabel Suquet, un des dirigeants de l’entreprise, qui estime que la facture de gaz s’est envolée de 400%. « C’est impossible de répercuter de telles hausses sur les prix des produits », note Tanguy Tartar, « donc forcément les salariés craignent pour l’avenir du site ».
« C’est la double peine », juge Frédéric Specque, délégué syndical CGT verrerie Arc International. « Non seulement leurs rémunérations baissent de façon assez conséquente, mais en plus les coûts de la vie de tous les jours augmentent eux-aussi ».
La préoccupation est double pour Samuel Dubellay, dont le fils travaille également dans l’entreprise de verre du Nord. Cet assistant-fusion de 52 ans passera au chômage partiel le mois prochain, mais il est déjà inquiet de la perte de pouvoir d’achat que cela va représenter.
« Je suis complètement dégoûté. Il faut se mettre à l’évidence: le 20 du mois ça va devenir très très difficile. Et avec les fêtes de fin d’année qui arrivent à grands pas… »
« Nous aussi on se chauffe au gaz ou à l’électricité »
« Il faut bien se dire une chose: c’est qu’on a les mêmes problèmes que les entreprises, nous aussi on se chauffe au gaz ou à l’électricité », souffle ce salarié de longue date, en charge de l’approvisionnement du sable.
« Pour que ça marche, il va falloir que ça passe par une réorganisation au sein de nos familles: sur la consommation de courant, l’alimentation, les trajets en voiture…. tout, il va falloir faire attention à tout », confie ce père de quatre enfants, dont un est encore à sa charge.
Olivier Billaud, lui, prévoit déjà d’avoir recours à son potager pour limiter la note à la fin du mois. « J’ai déjà commencé à refaire mes comptes à l’ancienne, à planifier des budgets plus serrés. On va aussi couper le budget loisirs, pas le choix. Par exemple, avec mon fils on avait pour projet d’aller voir un match de foot ensemble au vélodrome de Marseille, et bien ce n’est plus d’actualité ».
« Mais la question qui me tarraude le plus en ce moment », confie le quadragénaire qui a commencé chez Arc en tant que carteneur dans les années 90, « c’est ‘est-ce que je vais réussir à finir ma carrière ici?' ».
« Même si on est débrouillards, on ne veut pas se retrouver sur le marché du travail à cet âge-là », appuie Samuel Dubellay, qui redoute plus que tout la date butoir de février 2024, qui signera la fin du dispositif APLD (Accords d’activité partielle de longue durée) qui permet de protéger l’emploi qui prévoit une réduction du temps de travail des salariés jusqu’à 40% d’heures chômées. « S’il arrivait quoi que ce soit, on sait à quel point ça serait difficile de retrouver quoi que ce soit après ».
Produire lorsque l’électricité est moins chère
Mais la verrerie Arc est loin d’être la seule à être rattrapée par la crise de l’énergie. À partir du mois de novembre et pour minimum 4 mois, le fabriquant de verres Duralex prévoit lui-aussi de placer 250 salariés au chômage partiel sur son site de la Chapelle-Saint-Mesmin dans le Loiret. Une façon d’économiser la moitié de l’énergie qu’elle consomme d’habitude.
L’usine sidérurgique d’Ascométal de Fos-sur-Mer dans les Boûches-du-Rhône, elle, a trouvé la parade pour continuer de produire de l’acier quelques temps, en limitant la hausse des coûts. Depuis le début du mois et jusqu’à fin octobre, une centaine des 300 salariés du site adaptent leurs horaires de travail, afin de produire sur des plages horaires où le prix du Mégawatt d’électricité est moins onéreux.
« Les coûts de l’énergie nous ont poussé à revoir notre cycle de notre production », explique à BFMTV.com Ugur Yadiz, qui occupe un poste d’approvisionneur feraille et est également coordinateur central CFE-CGC.
« Les postes de journée en semaine ont été décalés en nuit et en week-end, pour limiter les coûts au maximum. Donc désormais les salariés travaillent le samedi après-midi, le samedi soir, en passant par le dimanche matin, et jusqu’à 13 heures ».
« Ça demande un énorme effort aux salariés, mais ils sont prêts à le faire », note le syndicaliste. « Ils ont adhéré parce qu’ils savent que la période est compliquée, qu’il en va de l’effort collectif mais moralement ça commence à tirer. Ça joue beaucoup sur le moral et sur la vie familiale, il n’y a plus trop d’équilibre entre vie pro et vie perso ».
La crainte de devoir « tirer le rideau quelques temps »
Toutefois, Ugur Yadiz ne cache pas que ses collègues et lui-même sont extrêmement inquiets pour la suite. « On ne sait pas trop où on va, mais tout le monde s’attend malgré tout à des arrêts des machines d’ici la fin de l’année, en novembre-décembre. Si les prix atteignent les 1000 euros le Mégawatt comme certains le prédisent, on ne sera pas en capacité de faire l’avance de trésorerie pour pouvoir subvenir au coût énergétique donc on aura pas le choix que de tirer le rideau quelques temps ».
Diminution du recours aux intérminaires, fonctionnement limité des fours… Face à la baisse des commandes, l’entreprise ArcelorMittal aura recours au chômage partiel à partir du 19 septembre, à Dunkerque comme à Florange en Moselle. Une manière, selon la direction, d’économiser du gaz nécessaire au fonctionnement de ses machines. Les salariés, eux, seront alors indemnisés à 82,5% de leur salaire initial par jour chômé.
« Cette annonce ça a été l’étonnement total. C’est très inquiétant et ça créé un climat anxiogène au sein de l’entreprise », affirme à BFMTV.com Laurent Buriello, délégué syndical CGT Arcelor Mittal sur le site sidérurgique de Florange (Moselle), qui s’oppose au dispositif.
« La principale raison officielle, c’est le ralentissement de la demande en acier sur le marché », mais pour lui l’entreprise aurait largement les moyens de ne pas imposer à ses salariés de se mettre au chômage partiel. Le syndicaliste, dépanneur professionnel sur le site, dénonce des mesures « financées avec de l’argent public ». « Au vu des 15 milliars d’euros de bénéfices réalisés en 2022, c’est indécent de demander à l’État de traiter socialement l’impact de la conjoncture », estime-t-il.
Les fédérations d’agriculteurs (FNSEA, Coopération agricole), des industriels de l’agro-alimentaires (ADEPALE, ANIA, ILEC, FEEF), des grandes surfaces (Perifem) ont parlé jeudi d’une seule voix pour lancer un « appel au secours » à propos de la « hausse disproportionnée des coûts de l’énergie » à laquelle ils sont confrontés, alors que le gouvernement doit présenter jeudi son plan de sobriété.