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Depuis l’annonce début octobre de la prolongation de la transition par le pouvoir du général Mahamat Idriss Déby, le Tchad s’enfonce dans une profonde crise socio-politique. Les autorités accentuent la répression contre les opposants, accusés d’avoir fomenté une « insurrection ». Analyse de la situation avec Roland Marchal, chercheur et spécialiste du Tchad.
Au Tchad, le dialogue de réconciliation nationale a laissé place à la répression sanglante. Vendredi 11 novembre, le procureur de N’Djamena a affirmé que plus de 600 personnes ont été arrêtées et emprisonnées dans le pays des violentes manifestations du 20 octobre. Des ONG locales et groupes d’opposition affirment que ces « rafles » se poursuivent depuis quotidiennement.
Ces rassemblements, à l’appel de l’opposition, pour dénoncer la prolongation de la transition ainsi que le maintien de Mahamat Idriss Déby à la tête du Tchad, avaient donné lieu à de sanglants affrontements dont le bilan demeure à ce jour incertain.
Cette semaine, les deux principaux leaders d’opposition, Succès Masra et Max Loalngar, ont annoncé avoir demandé à la Cour pénale internationale (CPI) l’ouverture d’une enquête pour « crimes contre l’humanité ». Pour faire le point sur cette crise socio-politique, France 24 s’est entretenu avec Roland Marchal, chercheur à Sciences Po, spécialiste du Tchad.
France 24 : Depuis plusieurs semaines, l’opposition tchadienne accuse le pouvoir de mener une véritable purge dans le pays. Les autorités de transition dénoncent de leur côté une tentative d’insurrection. Comment en est-on arrivé là ?
Roland Marchal : Cette répression intervient au sortir de deux dialogues lancés par les autorités de transitions dirigées par le général Mahamat Idriss Déby, l’un avec les forces d’opposition et la société civile, l’autre avec les groupes politico-militaires. Ces négociations ont permis au pouvoir d’incorporer un certain nombre de forces hostiles au régime en échange de postes, tout en gardant le contrôle global. Lorsque les deux groupes d’opposition les plus radicaux, les Transformateurs et Wakit Tama, restés à l’extérieur des négociations, ont organisé des manifestations, le pouvoir a voulu montrer sa détermination et la répression a tourné au bain de sang.
Les autorités ont fait état d’une cinquantaine de victimes, mais de nombreuses personnes sont toujours portées disparues et il est fort probable que le bilan réel s’élève à plus d’une centaine de morts. Avec ces manifestations, l’opposition est parvenue à faire éclater au grand jour la nature profondément autoritaire du régime. Si certains au Tchad reprochent aux manifestants d’avoir sciemment provoqué les forces de l’ordre en ayant eux-mêmes recours à la violence, la répression est complètement disproportionnée face à ces militants qui, à aucun moment, n’ont représenté une réelle menace pour le pouvoir. Les jours suivants, les autorités ont poursuivi cette répression par le biais d’arrestations massives notamment, pour étouffer toute velléité d’opposition.
Au vu de cette répression exercée par le pouvoir, faut-il considérer le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) comme un échec ?
La répression féroce a fait disparaître le peu d’espoir suscité par le dialogue national. On peut considérer que celui-ci n’a pas été totalement inutile car il a suscité une réflexion sur des thèmes essentiels pour l’avenir du Tchad, notamment sur la résolution de problèmes communautaires, l’organisation de l’État et le fonctionnement de l’administration locale. Des postes ont bien été offerts aux forces d’opposition sans cependant affecter la centralisation du pouvoir autour de la présidence.
L’exemple le plus criant est la déclaration du nouveau Premier ministre Saleh Kebzabo, lui-même ancien opposant, qui a qualifié les manifestants de « rebelles » cherchant à prendre le pouvoir par la force, sans même appeler à une enquête indépendante. Sur le papier, l’ouverture des postes de ministres est un signal important mais on voit bien que la pratique du pouvoir reste la même.
Pendant ce temps, le pouvoir à N’Djamena reste dirigé par la présidence avec des organes de sécurité qui verrouillent la politique tchadienne depuis des décennies. Dans ces conditions, une véritable alternance lors des prochaines élections semble impossible.
Outre le coût faramineux du dialogue national, l’ouverture aux membres de l’opposition et la création de nouveaux postes dans la haute fonction publique représentent un investissement supplémentaire pour la nation. Ces dépenses conséquentes se font dans un contexte social difficile où les populations ont besoin d’une aide de l’État qui se montre largement défaillant.
Vendredi, le Conseil de paix et sécurité de l’Union africaine (UA), qui s’était réuni pour examiner le cas du Tchad, n’a finalement pas décrété de sanctions suite à la prolongation de la transition. Comment l’expliquer alors qu’au Mali, en Guinée ou bien au Burkina, les pouvoir putschistes ont été exclus des organisations régionales ?
Tout d’abord, il faut rappeler que ce vote était à l’initiative du président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, lui-même Tchadien et ancien premier ministre d’Idriss Déby. Il avait, en avril 2021, plutôt soutenu Mahamat Idriss Déby en obtenant que l’Union africaine ne sanctionne pas la junte militaire à N’Djamena. Si certains jugent aujourd’hui qu’il tente de se positionner pour les prochaines élections, je pense au contraire qu’il est dans son rôle. En prolongeant la transition et en levant l’interdit sur sa participation aux prochaines élections, Mahamat Idriss Déby a violé ses engagements.
Concernant le vote, l’absence de sanction affaiblit indéniablement l’Union africaine car elle confirme que le Tchad bénéficie d’un traitement de faveur par rapport à certains de ses voisins d’Afrique de l’Ouest. Certes le Conseil de paix et sécurité de l’UA est composé de 15 membres avec leurs intérêts propres et l’obtention d’un consensus n’est bien sûr pas chose simple. Mais il est difficile de ne pas soupçonner l’influence de Paris dans ce vote. La France n’est sans doute pas satisfaite de ce qui se passe au Tchad, mais elle l’accepte une fois de plus car l’armée française considère son dispositif militaire dans le pays comme indispensable. Elle voit en N’Djamena un partenaire privilégié malgré la brutalité du régime et préfère croire que la situation politique va se normaliser.