Chaque année, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) arrête la navigation fluviale pendant une dizaine de jours pour effectuer la grande maintenance de ses quatorze écluses grand gabarit. Les travaux, engagés le 7 mars, devaient se terminer le 15. Mais rien ne s’est passé comme prévu. « Le 16 mars à 5 heures du matin, les écluses devaient rouvrir. A 7 heures, ils faisaient grève », explique Steve Becquart, artisan batelier qui transporte des conteneurs sur le Condor, une embarcation de 110 mètres de long.
L’intersyndicale de la CNR, mobilisée contre la réforme des retraites, a bloqué l’écluse de Vaugris (en Isère), juste après Lyon, au moment où devait se faire la dernière étape de maintenance. Elle est donc toujours vide. Un autre piquet de grève a fait de même, en aval, à l’écluse de Bollène (Vaucluse).
Depuis, aucune péniche ne navigue plus sur le Rhône. Transport de marchandises, croisières, tout est suspendu. Les salariés de la CNR, qui exploite aussi les barrages hydroélectriques, sont concernés par la remise en cause du régime spécial des salariés de l’énergie. Ces derniers jours, les réunions avec la direction se multiplient pour négocier une sortie du conflit social.
Comme une vingtaine d’autres bateaux opérés par des artisans, le Condor attend la réouverture. Steve Becquart, batelier comme ses parents, subit sans solution ni perspective ce blocage. « Je comprends les salariés, je serais peut-être en grève si j’étais à leur place, mais leur action ne sert à rien. Le transport fluvial ne représente que 2 % du trafic, donc tout le monde s’en fiche et les marchandises transitent par camion. Ils feraient mieux de bloquer l’autoroute », regrette cet artisan.
Il a acheté son bateau en 2015 et se félicite, depuis 2020, de travailler pour l’armateur MSC en transportant des conteneurs. Mais il s’inquiète sur la reconduction de son contrat : « J’ai perdu 9 tours, 80 000 euros de chiffre d’affaires. » Sera-t-il indemnisé ? Pour l’instant, il n’en a aucune idée. La Chambre nationale de la batellerie artisanale a été dissoute il y a quatre ans, à la suite de la suppression dans la loi de finances de 2019 de la taxe qui la finançait, et les artisans mariniers sont désorganisés face à une CNR qui estime qu’elle n’est pas responsable de la grève, invoquant un cas de force majeure.
Viviane Dubourg, propriétaire de la péniche Baychimo (39 mètres de long) et vice-présidente de l’association Agir pour le Fluvial, subit les mêmes affres : elle est bloquée sur son embarcation devant l’écluse de Vaugris, avec une cargaison de tuyaux de canalisation de Saint-Gobain. « Nous sommes attendus à Valence, nous faisions le premier voyage test pour ce client qui veut essayer le transport fluvial », explique-t-elle. Un bon moyen de décarboner la logistique, « mais là, nous donnons une image déplorable », regrette Mme Dubourg. Elle est en contact avec un confrère néerlandais en aval du Rhône, qui devait remonter du clinker, un constituant du ciment, jusqu’à Dunkerque. Il est, lui, coincé à Bollène.