Depuis quelques jours, des centaines d’Athéniens se précipitent dans les cinémas historiques que sont l’Astor et l’Idéal, au centre de la capitale grecque, pour soutenir les deux salles d’art et d’essai. « Nos cinémas, notre ville », est-il écrit sur des affiches collées sur leur devanture. Plus de 10 000 signatures ont été recueillies en seulement quatre jours pour les sauver.
Les deux bâtiments, qui appartiennent à l’organisme de sécurité sociale EFKA, sont menacés d’être vendus à des investisseurs privés. L’Idéal, qui a ouvert ses portes en 1921 sur l’avenue Panepistimiou, doit être racheté, selon la presse grecque, par un grand groupe hôtelier qui entend transformer le cinéma en un hôtel cinq étoiles. Depuis l’annonce de cette nouvelle, les Athéniens ainsi que le monde du cinéma et du spectacle sont vent debout contre ce qu’ils appellent les résultats destructeurs de la gentrification et de l’explosion du tourisme dans leur ville.
« Malgré les votes du conseil municipal d’Athènes pour soutenir les cinémas, l’EFKA, qui est propriétaire des bâtiments, continue de vouloir les vendre. Il agit comme une agence immobilière. Nous avons demandé au ministère de la culture de prendre un décret pour protéger les cinémas d’art et d’essai du centre d’Athènes, mais il a assuré que ce n’était pas de son ressort », regrette, agacé, Babis Kontarakis, propriétaire avec son frère, Andrea, du cinéma l’Astor depuis 2015.
« Plusieurs bâtiments au centre d’Athènes ont été classés au patrimoine et ne peuvent pas être modifiés. Pourquoi ne pas faire de même pour notre cinéma, qui est centenaire ? », renchérit Spyros Spentzos, le propriétaire du cinéma l’Idéal. « Si nous fermons, il ne restera que trois salles de cinéma dans le centre d’Athènes. Est-ce possible pour une capitale européenne ? Et où seront diffusées les productions des petits réalisateurs grecs ? » poursuit-il, inquiet.
Pour Babis Kontarakis, la volonté de vendre ces cinémas dissimule « une attaque contre un type de culture et d’art non commercial » et « une tentative de transformer Athènes en ville uniquement tournée vers les touristes ». « Peut-être qu’un jour ils mettront un péage pour le centre d’Athènes et seuls les bus touristiques circuleront ! », s’exclame le septuagénaire. Au pic de l’été 2022, environ 16 000 vacanciers arpentaient la colline de l’Acropole tous les jours.
Selon la banque de Grèce, l’an dernier, près de 28 millions de touristes ont visité la Grèce (pour une population d’environ 10 millions d’habitants). Les hôtels et les locations saisonnières se sont multipliés à Athènes. En septembre 2022, plus de 12 000 appartements étaient recensés sur la plate-forme Airbnb, alors qu’ils n’étaient qu’environ 2 000 en 2015. Dans ce même laps de temps, les loyers, pour les Athéniens, ont augmenté d’environ 30 %.
Ce n’est pas la première fois que la gentrification et le tourisme de masse soulèvent des questions à Athènes. En novembre 2019, un incendie avait ravagé le cinéma Lais, l’un des plus emblématiques de la ville, qui avait fermé ses portes depuis plusieurs années. Le bâtiment avait été racheté par un groupe immobilier qui l’avait laissé à l’abandon malgré les appels à sa sauvegarde. Les cinémas Astor et Idéal, eux, continuent d’être vivement défendus.