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En Erythrée, 5 000 soldats somaliens piégés depuis 2019

En Erythrée, 5 000 soldats somaliens piégés depuis 2019


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Le président somalien Hassan Cheikh Mohamoud à la COP27 à Charm El-Cheikh, en Egypte, le 8 novembre 2022.

Hassan Cheikh Mohamoud multiplie les visites, mais rien n’y fait : malgré deux rencontres officielles, en juillet puis en novembre, le président somalien n’a toujours pas obtenu d’Asmara le retour des 5 000 soldats retenus contre leur gré en Erythrée depuis 2019.

« Deux mille d’entre eux devraient revenir début 2023 », assure une source au sein du gouvernement somalien, qui souhaite rester anonyme. Mais l’affaire, longtemps tenue secrète, est de plus en plus embarrassante pour les autorités de Mogadiscio, incapables d’expliquer aux familles l’absence prolongée de leurs fils, alors que la guerre contre les islamistes Chabab fait rage dans le pays.

Comment ces soldats ont-ils atterri en Eythrée ? Pourquoi Isaias Afewerki, l’homme fort d’Asmara, ne les renvoie-t-il pas en Somalie ? Quel rôle a joué le Qatar dans cet échange ? Les questions s’empilent et le mystère demeure. « Ça bloque quelque part et aucun responsable somalien n’est vraiment honnête là-dessus », regrette Samira Gaid, directrice de l’institut de recherche Hiraal et ancienne conseillère du premier ministre somalien.

Entraînement clandestin

L’invraisemblable embrouillamini débute en 2018. A l’époque, la Somalie du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit « Farmajo », signe une alliance tripartite avec l’Ethiopie et l’Erythrée. Le rapprochement entre les trois voisins prévoit notamment une collaboration approfondie dans le domaine sécuritaire, sans qu’en soit précisée la nature exacte. En parallèle, Mogadiscio lance une campagne de recrutement pour permettre à des milliers de jeunes gens de se former au Qatar au métier d’agent de sécurité en vue de la Coupe du monde de football.

« Beaucoup de clans se sont bousculés pour envoyer des jeunes car le Qatar est perçu comme lucratif », précise Samira Gaid. Mais la campagne était mensongère et, en décembre 2019, des milliers de jeunes hommes pensant arriver à l’aéroport international de Doha découvrent le tarmac d’Asmara. Certains d’entre eux ont à peine 16 ans.

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Commence alors un entraînement clandestin dispensé par l’armée érythréenne, dont on ne connaît toujours pas aujourd’hui les objectifs. S’agit-il de former des soldats en vue de la lutte anti-Chabab, comme le prétend le pouvoir somalien ou bien des mercenaires au service d’Isaias Afwerki ? Les familles ne sont pas mises dans la confidence. Les soldats sont privés de téléphones, les communications avec leurs proches sont interdites.

Mais la rumeur entourant les soldats perdus commence à enfler en 2021. Entre-temps, la Corne de l’Afrique s’est embrasée. L’Erythrée s’engage pleinement dans la guerre civile en Ethiopie et occupe des pans entiers de la région éthiopienne du Tigré. Un document du rapporteur spécial de l’ONU révèle, en mai 2021, que « des soldats somaliens ont été transportés de leur camp d’entraînement vers la ligne de front au Tigré, puis ont accompagné les troupes érythréennes en Ethiopie ». Les Nations unies signalent leur présence dans les environs d’Aksoum, ville dans laquelle les soldats érythréens ont perpétré un massacre en novembre 2020. A l’époque, Mogadiscio et Asmara nient en bloc.

La « Corée du Nord de l’Afrique »

La localisation des cadets de la marine, leur participation aux combats et les éventuelles pertes s’avèrent impossibles à vérifier compte tenu du manque d’accès et de la coupure des télécommunications au Tigré. Mais l’ancien directeur adjoint des renseignements somaliens, Abdisalam Guled, assure au Monde que 370 soldats somaliens sont morts sur le champ de bataille. « Ce que je redoute, c’est que l’on comptera les morts au moment où le contingent reviendra en Somalie », déclare-t-il, avant de les décrire comme « captifs de la prison d’Isaias Afwerki ».

En janvier 2021, un père de famille somalien, Ali Jamac Dhoodi, a confié à l’agence Reuters avoir reçu chez lui la visite d’agents du renseignement somalien lui annonçant la mort de son fils. Un fils qu’il pensait alors en formation au Qatar. Après lui avoir remis une compensation de 10 000 dollars, les agents ont demandé à Ali Jamac Dhoodide de ne pas poser de questions sur les circonstances de ce décès.

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Un déserteur, rentré en Somalie en juillet 2021, a décrit le traitement désolant réservé à ses camarades, évoquant un mort par déshydratation et un autre par noyade. Il dépeint la façon dont ils se retrouvent parfois contraints à travailler dans les champs des journées durant. Des récits qui font écho à ceux de soldats érythréens qui parviennent à fuir la conscription obligatoire dans ce pays autoritaire, parfois surnommé la « Corée du Nord de l’Afrique », où les hommes ne connaissent jamais la date de fin d’un service militaire qui se veut volontairement à durée indéterminée.

A la suite de ces révélations, plusieurs manifestations ont secoué la capitale somalienne. Les parents de soldats, sans nouvelles de leurs fils, défilent dans les rues de Mogadiscio, réclamant des comptes au gouvernement. L’administration Farmajo refusera toujours de commenter la situation. Son successeur Hassan Cheikh Mohamoud finira par les rencontrer, leur promettant de rapatrier leurs enfants. L’administration rend publique l’envoi de soldats en Erythrée et reconnaît la mort de « quelques »-uns d’entre eux. Selon Samira Gaid, « environ quatre-vingt sont en réalité décédés pendant la formation ».

Lutter contre les islamistes Chabab

Initialement, assurent plusieurs sources, l’envoi des soldats en Erythrée devait être financé par le Qatar. En 2018, Doha jouissait d’une grande proximité avec le président « Farmajo ». Mais le petit pays du Golfe aurait finalement refusé de payer l’entraînement suite au succès électoral d’Hassan Cheikh Mohamoud, vu comme très proche des Emirats arabes unis. « Le gouvernement compte sur les Emiratis pour régler la libération de certains des soldats », précise Samira Gaid. D’après Dini Mohamed, un membre de la société civile somalienne, « l’Erythrée demanderait le versement d’une somme d’un peu plus de cinquante millions d’euros à la Somalie ».

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De son côté, Hassan Cheikh Mohamoud promet qu’une fois de retour ces troupes affronteront les islamistes Chabab, le groupe islamiste affilié à Al-Qaida contre lequel Mogadiscio se bat depuis plus d’une décennie. « Le peuple somalien est très enthousiaste à l’idée de votre retour, et l’ennemi [Chabab] sera démoralisé en vous voyant », a-t-il déclaré. Un scénario très improbable selon Abdisalam Guled. « Je doute fort que ces garçons à qui on a menti, à qui on a caché leur véritable sort, qui se sont retrouvés piégés et maltraités voudront combattre aux côtés du gouvernement à leur arrivée en Somalie », estime l’ancien directeur adjoint des renseignements somaliens.

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