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Au Sénégal, des classes préparatoires pour lutter contre la fuite des cerveaux

Au Sénégal, des classes préparatoires pour lutter contre la fuite des cerveaux


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Dans l’un des deux laboratoires flambant neufs de physique et de sciences industrielles de l’ingénieur, ouverts à Thiès le 6 octobre 2022.

Concentrée sur son cahier rempli de formules mathématiques, Sokhna Aissatou Mbacké termine un exercice avant de se rendre au cours de sport en fin de journée. « Mes semaines sont très chargées : je commence à 8 heures du matin et il m’arrive de réviser jusqu’à minuit ou 1 heure du matin », témoigne l’élève de 18 ans, qui fait partie des cinquante bacheliers sénégalais – mention bien ou très bien – sélectionnés sur dossier pour intégrer les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ouvertes depuis la rentrée à Thiès, à 70 kilomètres de Dakar.

Cette nouvelle formation publique, créée sur le modèle des classes préparatoires françaises, donnera accès aux écoles d’ingénieurs sénégalaises ainsi qu’aux concours des grandes écoles en France ou à l’étranger. Une première pour le pays ouest-africain, qui veut « minorer la fuite des cerveaux après avoir tant dépensé en ressources financières et bourses d’excellence », avait déclaré le président Macky Sall lors de l’inauguration officielle le 27 octobre. « Il nous faut plus d’ingénieurs, de techniciens intermédiaires et d’ouvriers qualifiés », car « en tant que pays en construction, nous avons besoin de nos meilleurs cerveaux », avait insisté le chef de l’Etat.

Pour le moment, huit professeurs sénégalais, français et tunisien assurent les cours des deux classes scientifiques de mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur (MPSI) et physique, chimie et sciences de l’ingénieur (PCSI), hébergés provisoirement dans des bâtiments neufs de l’école polytechnique de Thiès, une ville située à quelque 70 kilomètres de Dakar. Un complexe de quinze classes et de cinq laboratoires est en cours de construction sur le même site pour les promotions à venir.

Rêver de devenir ingénieur

« Nous allons augmenter les effectifs pour atteindre 300 à 800 élèves d’ici à cinq ans », vise Magaye Diop, coordonnateur des CPGE au Sénégal. « D’autres filières seront greffées comme l’informatique et les sciences de la terre qui sont des secteurs très porteurs au Sénégal, surtout avec les ressources importantes du sous-sol comme le pétrole et le gaz qui vont bientôt être exploitées », continue cet enseignant-chercheur à l’école supérieure polytechnique de Dakar.

Sette Touré, élève de 18 ans en PCSI, rêve de devenir ingénieur depuis tout petit, même s’il n’a pas encore choisi sa spécialité. Originaire de la région de Sédhiou dans le sud du pays, ce fils d’agriculteur est le premier de sa famille à faire des études supérieures. « Nous bénéficions tous d’une bourse d’excellence et d’un ordinateur portable, en plus d’être logé à l’internat et d’avoir accès à la restauration pour 100 francs CFA [0,15 euro] le repas », se réjouit-il.

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Après le cours d’anglais, l’élève doit encore réviser pour la « colle » du soir, ces interrogations orales évaluées qui se tiennent plusieurs fois par semaine. « Nous sommes obligés d’aller vite, il faut s’assurer qu’ils assimilent toutes les notions », explique Goré Dièye, professeur de physique assisté par des collègues de CPGE français.

Les classes préparatoires sont aussi dotées de deux laboratoires de physique et de sciences de l’ingénierie, où sont mis à disposition des élèves un simulateur de course ou un appareil qui aide à soulever des charges importantes. « Ces vingt-trois machines issues du milieu industriel nous permettent de mettre en pratique concrètement ce qui a été vu en cours et de préparer les élèves aux épreuves orales des concours », explique Lefi Abdellaoui, enseignant tunisien des sciences industrielles de l’ingénieur, qui a déjà exercé comme professeur en CPGE en Tunisie et en Mauritanie.

Répondre à « l’affaire Diary Sow »

« Je voulais faire ma classe préparatoire en France pour avoir de bonnes conditions d’apprentissage, mais tout ce j’espérais trouver là-bas, je l’ai ici », constate Sette Touré. Si ce système garde au pays les élèves deux années supplémentaires après le baccalauréat, la plupart d’entre eux espèrent ensuite poursuivre leurs études en France ou à l’étranger. Comment les faire revenir une fois leur école d’ingénieur terminée ? « Nous pensons établir des partenariats avec des entreprises locales pour proposer des stages au Sénégal et faciliter le retour des étudiants », explique M. Diop, qui regrette que les jeunes ingénieurs soient captés par le marché français.

Mame Coumba Kebe, 18 ans, rêve ainsi de faire carrière dans l’informatique ou l’astronomie au Sénégal, après une grande école en France. « Notre pays a besoin d’ingénieurs pour se développer, la finalité est donc de rentrer », témoigne la jeune bachelière qui a obtenu la mention très bien. Pour elle, l’avantage des classes préparatoires au Sénégal est surtout de rester au pays pour gagner en maturité avant de partir. « C’est notre environnement habituel, alors qu’en France je ne connais personne et il fait froid. Ici, c’est plus facile de faire face au rythme intense de travail, entre les colles, les devoirs maison et les devoirs surveillés du samedi », confie l’élève en physique.

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L’idée de ces classes préparatoires est aussi de répondre à « l’affaire Diary Sow », cette étudiante en classe préparatoire scientifique au lycée Louis-le-Grand de Paris qui avait disparu dix-sept jours en janvier 2021. « Nos jeunes bacheliers avaient des difficultés car ils se confrontaient à un environnement et à des conditions d’étude très différentes. Les maintenir ici permet d’éviter les décrochages », explique M. Diop.

En 2020, 118 étudiants avaient bénéficié d’une bourse d’excellence à l’étranger, 50 en 2021. Cette année, le gouvernement sénégalais n’a octroyé aucune bourse étrangère pour les classes préparatoires, quelle que soit la filière, pour garder ses talents à l’intérieur de ses frontières – même si le Sénégal ne propose pas encore les options littéraire ou économique.

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