Pendant la pandémie, l’idée avait surgi à San Francisco, presque comme une boutade. Tous ces bureaux vides, désertés par les employés, pourquoi ne pas les reconvertir en des logements pour les sans-abri, omniprésents dans le centre-ville, ou pour tous les malmenés par l’extravagance des loyers ?
Les professionnels de l’immobilier avaient rapidement douché les utopies. Transformer des espaces de travail en lieux de vie et de convivialité est plus compliqué – et onéreux – qu’il n’y paraît. Où installe-t-on les cuisines, les salles de bains, les kilomètres de tuyauterie supplémentaire ? Les bonnes intentions ne mènent pas loin si la plomberie ne suit pas.
Trois ans plus tard, l’idée revient en force. La pandémie est finie, mais les sans-abri sont toujours là, tout comme la pénurie de logements abordables. Et le downtown de San Francisco reste à moitié vide. Selon une enquête du projet sur le déplacement urbain (Urban Displacement Project) conduite par l’universitaire Karen Chapple, l’ex-capitale de la tech triomphante arrivait au dernier rang, fin 2022, sur les 62 villes étudiées pour le retour à l’activité dans le centre. Les chercheurs ont mesuré la circulation grâce à la géolocalisation des téléphones portables. San Francisco a enregistré une baisse d’activité de 70 % par rapport à mars 2020, soit 150 000 passants en moins.
Sous la pression de la municipalité, qui voit ses finances s’effondrer (après un excédent de plus de 100 millions de dollars en 2021-2022, soit 91 millions d’euros, le prochain budget est annoncé avec un déficit de 291 millions de dollars), les chefs d’entreprise ont ordonné un retour obligatoire au bureau, au moins trois jours par semaine. Mais les employés traînent les pieds : un tiers reste en télétravail. La vague de licenciements a aggravé le sentiment de désertion : 20 000 emplois technologiques ont disparu à San Francisco et dans la Silicon Valley depuis juin 2022.
Avant la pandémie, San Francisco connaissait l’un des taux de vacance immobilière les plus bas du pays. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Près de 30 % des bureaux et 27 % des espaces commerciaux sont vides. Alors que les banques s’inquiètent de savoir qui va rembourser les prêts immobiliers, la solution paraît toute trouvée : puisqu’on travaille à la maison, pourquoi ne pas transformer son ancien bureau en logement ?
Le 4 avril, la maire de San Francisco, London Breed, a proposé un plan pour faciliter la conversion des bureaux en logements. Le code de l’urbanisme serait changé. Les prérequis de parking et d’espaces verts, en vigueur pour les immeubles résidentiels, seraient suspendus. Un cabinet d’architectes mandaté par la municipalité a déjà retenu 12 bâtiments pour un projet pilote de reconversion, qui permettrait de mettre 2 700 logements sur le marché. Et d’autres usages sont à l’étude : transformer les bureaux en laboratoires pour les biotechnologies, le seul secteur encore en progression, voire en résidences universitaires.
Il est à noter que les idées antérieures sur la conversion de bâtiments en logements ont été en quelque sorte tempérées par les défis auxquels la Californie est confrontée. Le gouverneur de Californie, Jerry Brown, avait promis de construire 3,5 millions de nouveaux logements d’ici 2025, mais seules 1,3 million de nouvelles constructions ont été approuvées depuis 2018. La préférence pour les maisons individuelles a également été un défi majeur pour fournir des logements abordables. Cependant, la pandémie a conduit de nombreux citoyens à repenser leur mode de vie et leur lieu de résidence, et ces aspirations pourraient accélérer les projets de conversion de bureaux en logements.
En fin de compte, la conversion de bureaux en logements peut être une solution à plusieurs problèmes, y compris la pénurie de logements abordables et le nombre élevé de sans-abri. Cela pourrait également contribuer à revitaliser le centre-ville qui, depuis la pandémie, a été laissé à l’abandon. Les autorités municipales semblent en prendre note et travaillent pour faciliter cette conversion, même si les défis techniques de ces projets sont nombreux.