La scène, macabre, n’est pas ordinaire. Les cadavres ne sont pas simplement ceux de soldats tombés au combat, comme il y en a un peu partout sur le champ de bataille, fauchés par la guerre. Dans une rue de Lyman, sur le bas-côté, des corps des soldats russes sont allongés sur des brancards militaires. Nul ne sait pourquoi ces hommes ont été abandonnés là par leurs camarades, dans l’herbe, devant une maison détruite. Si ces hommes reposaient dans une morgue, pourquoi ont-ils été transférés dans une rue à l’air libre ? S’ils étaient blessés, pourquoi n’ont-ils pas été conduits vers un hôpital de campagne à l’arrière ?
La seule riveraine qui apparaît sur le seuil de sa porte sait juste que « trois corps ont été déposés là, un soir, la veille du retrait de l’armée russe, et quatorze autre corps le lendemain ». Elle ignore pourquoi. Elle se terrait chez elle. Ioulia tremble encore de toutes les peurs de la guerre. Confuse, elle ne sait plus très bien quel jour c’était. « L’odeur est insupportable et les chiens errants en ont déjà mangé deux !, déclare Ioulia à une patrouille de combattants ukrainiens. Quand venez-vous ramasser ces cadavres ? »
Un officier ukrainien, B., a son idée sur le mystère. « Cela peut paraître fou, mais l’armée russe abandonne non seulement ses morts, mais souvent aussi ses hommes grièvement blessés », explique-t-il, estimant aussi qu’il s’agit du résultat de la « panique », quand des unités, par ailleurs souvent mal commandées par des officiers qui s’enfuient avant leurs hommes, quittent une ville dans la précipitation. Il évoque aussi, l’air dégoûté, le « pillage », et le fait que morts et blessés soient parfois abandonnés pour faire de la place aux butins de guerre dans les camions.
Ioulia devra attendre avant que sa rue soit nettoyée. Les patrouilles ne toucheront aucun corps avant le passage des démineurs. « Il est fréquent que les cadavres, russes comme ukrainiens, soient piégés par l’armée russe, dit l’officier. Ils placent une grenade dégoupillée sous le corps et, quand on le retourne, boum ! »
Traverser la rivière, puis la forêt
Dans la contre-offensive fulgurante des forces de Kiev dans le nord-est de l’Ukraine, la reconquête de Lyman (province de Donetsk), annoncée le 2 octobre, a été plus longue et plus violente que celle d’Izioum (province de Kharkiv), le 11 septembre, trois semaines auparavant. Après la fuite désordonnée et humiliante d’Izioum, Moscou avait donné l’ordre à son armée de résister à Lyman le plus longtemps possible.
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